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Publié par
Nombre de lectures
3
EAN13
9782889302703
Langue
Français
Jeudi 27 mai, fin d'après-midi, vous poussez la lourde porte d'un bâtiment ancien. Une vague odeur de naphtaline, de pierre et de carton. Vous cherchez le bureau du directeur, lieu dans lequel votre rendez-vous est prévu, pour évoquer la scolarité de votre fils. Secrétaires, infirmière, logopédiste, doyenne, enseignant "ordinaire" et "spécialisé", psychologue, concierge... Vous allez ce jour-là croiser un nombre impressionnant de personnes travaillant dans l'établissement scolaire. En quoi consiste leur travail quotidien ? Comment organisent-elles leurs activités, au jour le jour ? Comment leurs tâches s'articulent-elles entre elles ?
L'ambition de cet ouvrage collectif est de décrire le travail, souvent méconnu et parfois invisible, réalisé par ces divers professionnels au sein des établissements scolaires. Il propose des entrées diversifiées sur le travail à l'école, abordant tout autant l'insertion professionnelle, le travail des enseignants, des élèves, des infirmières, des psychologues, des directeurs, des parents ou encore des concierges, afin de donner un aperçu de l'évolution, des divisions et des contradictions qui caractérisent le "travail pédagogique" dans son ensemble.
Avec une volonté de dépasser les oppositions préconstruites, notamment celle entre "travail prescrit" et "travail réel", le livre traite des multiples ajustements auxquels les individus ont recours dans leur quotidien. Il révèle leurs pratiques ordinaires, tout en rendant compte des variations normatives et des diverses prescriptions qui leur sont adressées, à l'intérieur comme hors des murs de l'école.
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9782889302703
Langue
Français
© Éditions Alphil-Presses universitaires suisses, 2019
Case postale 5
2002 Neuchâtel 2
Suisse
www.alphil.ch
Alphil Diffusion
commande@alphil.ch
ISBN Papier : 978-2-88930-268-0
ISBN EPUB : 978-2-88930-270-3
DOI : 10.33055/ALPHIL.03131
Publié avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique.
Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
Illustration de couverture : Vue intérieure d’un bâtiment scolaire près d’Aarau (Argovie). © Keystone / Christian Beutler.
Responsable d’édition : François Lapeyronie
Philippe Losego, Héloïse Durler
Haute École Pédagogique du canton de Vaud
Introduction Pour une sociologie du travail pédagogique
Cet ouvrage n’est pas le produit d’un colloque ou d’une recherche collective planifiée 1 . Il est le résultat d’échanges sur nos recherches respectives et part d’une préoccupation commune : décrire le travail pédagogique dans les établissements scolaires non d’un point de vue surplombant, mais depuis le poste de travail .
Nous avons voulu traiter l’enseignement comme un « travail comme un autre », insister sur les contradictions dans lesquelles les « travailleurs pédagogiques » sont placés et décrire la manière dont ils ajustent leurs conditions de travail. En fait, nous nous sommes efforcés à la fois de relativiser la soi-disant spécificité du fait éducatif et de l’appréhender à partir de la sociologie du travail.
L’enseignement est-il un travail ?
L’école est un lieu de travail, cela semble une évidence (B ARRÈRE , 2003). Pourtant, elle a été peu investie par la sociologie du travail. Qu’est-ce que l’éducation pourrait gagner à une telle approche ?
La rupture fondatrice, opérée par la sociologie du travail il y a bien longtemps – à l’issue de la célèbre enquête dirigée par Elton Mayo à la Western Electric –, a consisté à abandonner le regard prescripteur des ingénieurs pour voir le travail avec les yeux des travailleurs (S TROOBANTS , 1993). Une sociologie du travail pédagogique consisterait donc à adopter le point de vue du travailleur. La sociologie de l’éducation se place souvent à l’échelle macrosociologique (C ACOUAULT -B ITAUD & O EUVRARD , 2009 ; B LANCHARD & C AYOUETTE -R EMBLIÈRE , 2016) et se préoccupe des politiques d’éducation (B ARRAULT- S TELLA & G OASTELLEC , 2015 ; F ELOUZIS & H ANHART , 2011 ; N ORMAND , 2012). Lorsqu’elle se rapproche du travail, elle traite de l’efficacité pédagogique (D UMAY & D UPRIEZ , 2009) ou de l’impact des pratiques sur les inégalités scolaires et sociales (B ALUTEAU , 2013 ; R OCHEX & C RINON , 2011), comme si les enseignants n’avaient d’autre alternative que fonctionner ou dysfonctionner. Ce champ de recherche reste peu ou prou dominé par des versions édulcorées de la théorie de la reproduction, sous la forme de la sociologie des inégalités scolaires (C AYOUETTE- R EMBLIÈRE, 2016 ; F ELOUZIS , C HARMILLOT & F OUQUET- C HAUPRADE , 2011), et par le paradigme de l’individualisme méthodologique, soutenu par la notion de « marchés scolaires » (F ELOUZIS , M AROY & V AN Z ANTEN , 2013 ; M AROY , 2006a). Ces deux visions ne s’opposent plus aujourd’hui et s’articulent en une sorte de sociologie pacifiée de l’éducation. Celle-ci n’est pas illégitime, d’ailleurs, mais il y manque souvent un facteur explicatif : les travailleurs pédagogiques subissent des contraintes propres à leur poste de travail (D UTERCQ & M AROY , 2017) et investissent du sens dans leur action. Ils ne peuvent être conçus comme de simples agents remplissant mécaniquement les fonctions patentes du système (instruire, socialiser) ou ses fonctions latentes (assurer et légitimer la reproduction sociale).
Cette perspective consistant à voir l’action éducative depuis les « travailleurs pédagogiques » n’est d’ailleurs pas absente du champ de l’éducation. François Dubet, tirant récemment un bilan de sa carrière (2015) , déclarait quant à lui avoir « souhaité faire table rase des sociologies qui ramenaient tout aux conditions du succès et de l’échec scolaires » et ce, « de la même façon que la sociologie du travail s’est émancipée d’une réflexion sur les conditions de la productivité des travailleurs ». Les travaux d’Anne Barrère (2002a, 2002b, 2003, 2006) ou de Pierre Périer (2010, 2014) qui développent une sociologie rapportant le travail au sens qu’il a pour les enseignants, les élèves ou les directeurs, sont dans la même ligne.
Le fait de prendre le point de vue des acteurs ne constitue pas simplement un changement d’échelle, du « macro » au « micro ». Nous sommes dans une situation historique particulière dans laquelle l’engagement subjectif des acteurs (A NDRÉ , 2013) répond au fait que les identités professionnelles sont de moins en moins soutenues par les institutions (D UBET , 2002 ; P ÉRIER , 2014 ; T ARDIF & L ESSARD , 1999). Se demander non seulement quel sens a l’action pour les acteurs, mais aussi comment ils construisent du sens dans des situations parfois absurdes est devenu plus pertinent que jamais.
Cependant, rendre compte de la subjectivité ne suffit pas. Voir le travail depuis le poste de travail , c’est aussi considérer ses contraintes matérielles et ses contradictions souvent tout-à-fait objectives et inhérentes aux différentes prescriptions. Dans le cas des enseignants, si l’on additionne, par exemple, les référentiels de compétences suivis par les institutions de formation, les cahiers des charges imposés par les employeurs, les plans d’études (de plus en plus flous pour des raisons politiques et supposant un travail de redéfinition au niveau local), les « moyens d’enseignement » officiellement désignés, plus ou moins adaptés à ces plans d’études, les règlements spécifiques à chaque école, les nouvelles technologies qui impliquent des tâches généralement peu perçues, et les standards définis par les évaluations externes et qui tendent à piloter les pratiques par les résultats, on peut imaginer le chaos normatif vécu par un enseignant discipliné qui voudrait suivre à la lettre cet hypothétique « travail prescrit ». Il n’y a aucune raison pour que tous ces systèmes de contrôle du travail soient harmonieux. C’est pourquoi la recherche nous semble devoir abandonner la perspective classique des « écarts » entre le travail réel et le travail prescrit : celui-ci n’existe pas en tant que donnée univoque (M ÉARD & B RUNO , 2008). Émanant de groupes de pressions variés (T ARDIF & L ESSARD , 1999) et relevant de strates historiques différentes, les prescriptions se contredisent.
En Suisse, l’exemple le plus criant de contradiction se manifeste dans l’opposition entre, d’une part, l’injonction à réduire les inégalités scolaires telle qu’elle émane des départements de l’éducation sous l’influence des organisations internationales (et matérialisée notamment dans les dispositifs d’évaluation externe) et, d’autre part, les référendums locaux qui maintiennent des systèmes ségrégatifs (F ELOUZIS , C HARMILLOT & F OUQUET -C HAUPRADE , 2013 ; L OSEGO , 2018). Plus ou moins forte selon les étapes de la scolarité – la fin du primaire apparaît par exemple comme une période durant laquelle les enseignants doivent à la fois assurer « la réussite pour tous » et trier les élèves –, la contradiction entre des normes difficilement compatibles entre elles pèse peu ou prou sur l’ensemble du travail enseignant.
Par conséquent, si les individus doivent aujourd’hui s’engager subjectivement dans le travail, si les institutions ne les soutiennent plus comme avant, ce n’est pas en raison d’un retrait de l’autorité et d’un vide normatif, mais au contraire d’un trop-plein normatif. La complexité qui en résulte est, par ailleurs, généralement déniée par les prescripteurs : formateurs, directeurs, dirigeants des administrations éducatives, experts disciplinaires et… chercheurs, croient connaître le métier d’aujourd’hui, notamment parce que nombre d’entre eux sont d’anciens enseignants, alors qu’ils en sous-estiment les diverses évolutions et leurs contradictions.
Faire une sociologie du travail à l’école permet de replacer celui-ci au sein du travail en général. Ainsi, lorsque Becker publiait son célèbre article sur les carrières « hori