Haute et Basse-Egypte Les Deux-Terres des pharaons , livre ebook

Haute et Basse-Egypte : les Deux-Terres des pharaons
articles consacrés à l'Egypte antique (nouvelle édition)
de Raphaël BERTRAND
Copyright © 2023 Editions l'Empire de l'Ame
Tous droits réservés
ISBN 9782365220729
Exegi monumentum aere perennius

Derrière les merveilles architecturales, picturales, littéraires, statuaires — créations enclines à faire rêver aux finalités pratiques et fonctionnelles bien loin de notre définition de l'Art —, qui côtoient par ailleurs d'innombrables oeuvres plus modestes ou de piètre qualité, que le peuple de l'Egypte antique nous a laissées et qui ne sauraient, bien évidemment, résumer à elles seules une société, se cache une théocratie à la longévité unique. Cette durée qui, pour un oeil non averti, semble s'ancrer dans une immuabilité suspensive d'une Tradition érigée en référence — telle que les Egyptiens l'ont voulue en la conditionnant à la Première fois des origines — a cependant su connaître dès les plus hautes époques des évolutions idéologique, religieuse et administrative (il ne pouvait en être autrement, car toute société humaine est sujette à des transformations). En effet, cette vision mythologique de définition n'excluait aucunement l'aspect de dépassement et prenait forme dans l'idée que le suivant devait à la fois maintenir l'état primordial de la Création et faire mieux que son prédécesseur. Cette dichotomie du maintien et du mieux s'est retrouvée intégrée dans le dogme royal et chez les fonctionnaires. Cela se traduisait concrètement dans la phraséologie par "Cela n'avait jamais été fait depuis l'époque de X ; cela n'avait jamais été fait auparavant ; jamais chose semblable n'était descendue en Egypte depuis le temps du dieu ; jamais chose semblable n'avait été faite depuis l'origine du pays, etc."
Nous retrouvons bien là la dualité qui émaille la civilisation égyptienne, laquelle est inférée des éléments naturels opposés nuit/jour, vallée/désert, vie/mort, Nord/Sud, Est/Ouest, jeunesse/vieillesse, désordre/ordre, pureté/impureté, dieux/humains, santé/maladie, etc., et qui s'exprime dans les concepts égyptiens où négatif et positif s'allient dans un équilibre global puisque cette bipolarité constitue en réalité une unicité, la pluralité s'exprimant chez les Egyptiens par le chiffre trois et non le chiffre deux. C'est ainsi que la représentation mentale d'un contrepoids permettant de rétablir l'équilibre global a permis d'intégrer le négatif dans la bonne marche du monde à condition qu'il soit maîtrisé par les rites et la magie. Toute divinité n'est pas bonne ou mauvaise, mais bonne et mauvaise, son action pouvant être canalisée. Les deux exemples les plus connus sont Sekhmet, déesse léonine que l'on apaise avec les rites de conjuration appropriés et Seth — assassin d'Osiris et adversaire d'Horus — qui se trouve à l'avant de la barque solaire, mais dont le caractère tempétueux maîtrisé protège les passagers de cette dernière en repoussant le Mal.  
La Maât en tant qu'ensemble des principes positifs et productifs de cohésion et d'organisation qui régissent l'univers, ainsi que des règles satisfaisantes et bénéfiques de vie sociale auxquelles tout individu doit se conformer afin de repousser la désorganisation sous toutes ses formes (1) a été érigée en règle normative pour chapeauter d'une part la référence à la Tradition et encadrer cet objectif du mieux tout en voulant corriger les travers humains et d'autre part pour apporter une justification d'action du Pouvoir en place. 
J'insiste bien sur le terme d'équilibre global, car nous ne sommes pas dans un rapport qui annulerait une mauvaise action par une bonne. Il suffit de citer la scène de la psychostasie où les actes du défunt sont placés dans la balance au moment du passage de celui-ci devant Osiris pour gagner son éternité. Ce qui est confronté au mètre-étalon qu'est la Maât et placé dans la balance matérialisé par le coeur/esprit, ce ne sont pas exclusivement les mauvaises actions, mais bien l'ensemble des actes du défunt durant sa vie. Si le bilan est positif, alors le billet d'entrée pour l'éternité est accordé. 
Tout cela excluait chez les Egyptiens une vue manichéenne de la vie et c'est peut-être là le seul secret de  longévité de leur civilisation, pendant que l'attachement à la Tradition des origines a permis cet artificiel et trompeur figement qui s'offre de prime abord au regard dans leurs oeuvres.

(1) Contrats d'Assiout : Directives organisant le culte funéraire d'un nomarque de Sésostris Ier de Raphaël BERTRAND
Traduction d'un bas-relief provenant de la tombe d'Ameneminet

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