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Publié par
Nombre de lectures
5
EAN13
9782924550540
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Le luth de carton est un ensemble composé de cinquante récits intimistes autour de l’instrument de musique. De la naissance à l’âge mûr, l’auteur exprime sa découverte de la musique et de ses instruments avec passion et humanité. Et il le fait tant au Québec qu’en France, tant en Irlande qu’en Louisiane, et jusqu’au Brésil où son métier de linguiste l’a conduit au cours de sa carrière. Cinquante textes pour cinquante instruments. Tout y passe: de la guitare au banjo, de la flûte au gazou, du célesta au tuba. Est-ce un recueil de nouvelles ? Non, plutôt un essai littéraire dont les textes puisent dans l'intimité d'un homme pour nous parler de la musique et de ses instruments. Si ces propos piquent votre curiosité, alors vous n'avez plus qu'une chose à faire : vous procurer cet ouvrage pour en débuter sans tarder la lecture. Vous tomberez sous le charme, je vous le garantis.
Paul Laurendeau, né en 1958, vit au Québec où il se consacre à l’écriture. Il a publié plusieurs nouvelles et romans ainsi que quelques recueils de poésie (en solo ou en collaboration avec Allan Erwan Berger). Docteur ès Lettres de l’Université Denis Diderot (Paris VII), Paul Laurendeau est l’auteur d’une cinquantaine d’articles et de chapitres d'ouvrages en linguistique et en philosophie du langage. Il a collaboré à l’ouvrage collectif Entretien avec quatre philosophes (Éditions Hurtubise HMH, 2005), y pastichant les rôles de Karl Marx et de Socrate. Sa formation de philosophe l’amène aussi à s’intéresser aux phénomènes intellectuels ordinaires, comme les religions et les idéologies politiques. Il a publié L'Islam, et nous les athées (2015) chez ELP, et l’essai Lire Mein Kampf chez le même éditeur, dans la collection Essais et témoignages.
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5
EAN13
9782924550540
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Français
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1 Mo
Le luth de carton
Paul Laurendeau
Miniatures en prose
© ÉLP éditeur, 2020 www.elpediteur.com ecrirelirepenser@gmail.com ISBN : 978-2-924550-54-0
Conception graphique : Allan E. Berger Couverture: Allan E. Berger à partir d'un dessin au fusain de Bagatelle (JeannineTaillefer), ©2019
La Musique hante la mémoire, n’est pas résumable, et est indéfinissable.
Paul Valéry (Analecta, aphorisme XCIV, note 2)
Note de l’auteur
En écrivant les« églogues instrumentales » (cinquante poèmes sur cinquanteinstruments de musique), le troisième sous-recueil de mon ouvrage RessacsPoétiques (2019), un flot defaits biscornus, tangibles et denses m’est revenu, en tourbillons,en cascades. J’ai dû me rendre à l’évidence : en touteindépendance du lyrisme poétique qui m’a fait écrire sur lesinstruments de musique, j’ai dans la tête, en vrac et en fanfare,un ensemble, matériel et intellectuel, de faits musicologiquesordinaires et vernaculaires, tous vécus par le petit bout de lalorgnette. Sur une période de soixante ans (1960-2020), j’airessenti intensément la musique, à travers le lot extraordinaire etmirifique de ses instruments, vieux et neufs, beaux et laids, fortset faibles, grands et petits. Je les ai touchés, je les ai palpés,je les ai entendus, je les ai regardés, je les ai supportés, je lesai révérés, je les ai cogités, je les ai médités. Je les aitrouvés évidents ou je les ai trouvés ambivalents. Je ne les aijamais pris pour acquis et je les ai tous appréciés et aimés. Lamusique passe et se transmet crucialement à travers ses instrumentset ses instrumentistes. Et cette voix est toujours la voix d’untemps… un temps qui, déroulé, révolu, en vient de plus en plus àvouloir se dire.
Vous allez un peulire ici quelque chose comme les mémoires sur le tas d’un modestemusicien raté. Vous allez me saisir sur images interrompues, mecapter en flagrant délit de cesser de jouer de la musique. C’est que, fondamentalement autant queviscéralement, la musique, je préfère la regarder et l’écouter.Pour tout dire, ma priorité est de la contempler. J’ai donc apprisà renoncer à la musique, comme acteur. En musique (comme engastronomie, en peinture, en sculpture, en parfumerie, en cinéma) jesuis public .Et le public ne joue pas la musique. Il en parle .C’est ce que je fais ici. Et ma musique — au sens métaphorique, cette fois-ci — se joue ici surun instrument irréel, largement fantasmé, un petit peu toc, même…un luth. Et le luth que je vous joue ici est un luth de carton.
Je voudrais signalerà tous les musiciens, compositeurs, et instrumentistes du monde,combien j’ai pensé à eux et à elles en écrivant ce livre. Lesmusiciens et les musiciennes consacrent de nombreuses heures de leursjournées, de nombreuses années de leurs vies, à travailler dur surleurs instruments, pour nous apporter la beauté. De la rue à lasalle de concert, des classes de musique aux douceurs du logis, dansles villes, les campagnes, sur terre et sur mer, des bastringues auxstudios d’enregistrement, à pieds, à cheval, en voiture, chaquemusicien, chaque musicienne, est un bienfaiteur et une bienfaitricede l’humanité. Je voudrais ici leur dire, à eux, à elles, selonla formule consacrée, une chose qu’on ne dit jamais assez à cesambassadeurs de paix et de joie : mercipour votre service.
I- Le xylophone et le soldat (1960)
Le premier instrument de musique dontj’ai un souvenir tangible, c’est un xylophone jouet. Je suis toutpetit et l’objet, qui m’apparaît plus grand que nature, estsolidement installé dans ma mémoire sensorielle. Étrangement, ilest monté sur des roulettes de métal. Son cadre est en bois blanc,solide, et les lamelles du xylo sont de couleurs contrastées, viveset brillantes. Je les tape avec un petit maillet, qui est en boisaussi, et je me souviens nettement d’avoir constaté que lescouleurs bien découpées des lamelles correspondent à des sonsdifférents, eux aussi, les uns des autres. Je comprends donc qu’ils’agit de percuter une lamelle distincte à chaque fois, àl’aléatoire. Je le fais avec ardeur et jubilation, en babillant.J’ai l’impression de sonner comme le tonnerre.
Je me vois dans unbel espace vert, épinglé d’arbres. C’est l’été. J’ai uneimpression d’immensité, comme dans une sorte de parc, luxuriant ettranquille. Je crie, je lève les bras et je joue du xylo. C’est lebonheur sans mélange. Prométhée ayant volé le feu et déversantdésormais la musique de son exaltation sur le monde. Il y a des genspas trop loin, des adultes. Ma mère, très belle, est habillée deblanc. Ses cheveux bouclés dansent dans le soleil et sa robe volettelégèrement au vent. Personne ne me dérange ou ne m’importune. Jesuis tout à mon grand œuvre, concerto pour xylophone polychrome debabi, gesticulations, et voix idoines.
Surgit alors une petite camionnetteverte au toit rouge. Elle a quelque chose de très martial et, dansmon souvenir, elle roule directement sur la pelouse, dans madirection. Mes parents contesteront ce segment du souvenir. La petitecamionnette verte au toit rouge ne roulait pas sur la pelouse, plutôtsur une longue entrée de garage (sans garage) qui s’étiraitjusque derrière la maison. Il en sort alors un soldat en uniforme,qui claque la portière, et marche directement vers moi, d’un pasleste. Une manière de petite anxiété me gagne alors. Peut-êtreque, finalement, je fais trop de bruit en martelant mon xylophonejouet et que ce soldat est venu pour m’avertir de ménager mestransports, pour me confisquer mon instrument de musique même,peut-être. Mais le soldat en uniforme ne se préoccupe même pas demoi. Il me dépasse sans m’adresser la parole et s’en va se mêlerau groupe de gens vêtus de blanc qui accompagnent ma mère. Il ydisparaît pour toujours, comme dans un brouillard onirique. Jereprends mon jeu de xylophone mais plus doucement. Quelque chose,dans mon enthousiasme sans mélange, s’est imperceptiblement brisé.
Il est possible de dater ce souvenirgrâce à la réaction un peu interloquée de mes parents quand jeleur ai raconté, bien plus tard, cette anecdote. L’homme enuniforme à la camionnette verte au toit rouge n’était pas unsoldat mais un facteur en uniforme. C’était un voisin de mesparents mais à la résidence qu’ils habitaient avant des’installer à Repentigny. Comme il m’est impossible d’avoir puinventer ou imaginer des détails aussi précis, cela dateimparablement ce souvenir. C’était l’été de 1960. J’avaisdeux ans.
J’ai gardé mon xylophone jouetpendant plusieurs années. Puis, un hiver, mes parents m’ontconvaincu de le donner aux bonnes œuvres, pour que des petitsenfants plus pauvres que moi puissent eux aussi jouir de la musique.On voulait, par-dessus le tas, que je fasse un sacrifice, pour laNoël, un vrai, un dur. Ce n’en fut pas vraiment un. Ce faux soldatvrai facteur d’autrefois avait durablement, et bieninvolontairement, fracturé ma vocation d’instrumentiste. Tant pis,je serais mélomane. La musique est si belle qu’il n’est pas siindispensable de la faire, tant qu’il nous reste loisible del’écouter.
II- Toutes ces batteries de ma petite vie 1962)
Dans mon enfance, lesbatteries étaient de vogue. Les Beatles avaient relancé le balquand j’avais quatre ans (1962) et j’ai passé mon enfance dansl’univers tonitruant et picaresque des batteries. Il y en avaitpartout. C’était comme une sorte de passage obligé pour êtredans le vent , comme on disait alors. Ily avait des batteries dans les dessins animés. Il y avait desbatteries à la messe. Il y avait même des batteries imprimées surles pyjamas d’enfants. C’était, par excellence, l’objetreprésentant ce que pouvait être la joie absolue.
La batterie me paraissait un appareilparfaitement mystérieux parce que foutoireux, bordélique,hétéroclite, tapageur, déjanté, dérangé. J’en avais doncfabriqué une avec une pile de jouets à la traîne, dans ma chambre.Avec deux grandes aiguilles à tricoter. Je tapais à différentsendroits sur la pile de jouets et cela me paraissait une combinatoiresubtile de percussions parfaitement acceptable. Mais la batterie n’apas gardé pour moi cette joyeuse dégaine de magma difforme. Avecles années, j’ai appris à en circonscrire les parties : lagrosse caisse, la caisse claire, le tambour sur pied, les tamboursvolants, les cymbales, le charleston (dont nous reparlerons). Debordélique, la complication graduellement minimalisée de labatterie devenait subitement ordonnée, déterminée, méthodique,systématique.
En bonne dialectique objective, celan’augmenta pas ma joie mais la réduisit. À la meilleureconnaissance de la configuration de la batterie se joignait, commefatalement, l’augmentation de la conscience que j’approfondissaisde… mon inaptitude à la jouer adéquatement. Je n’arrivais pas àcoordonner le travail des pédales (grosse caisse et charleston) etcelui des bras (tambours et caisse claire). Je n’arrivais pas àchoper le principe du roulement non plus, sur la caisse claire, oumême sur les