Tracer des frontières à Djibouti Des territoires et des hommes aux XIXe et XXe siècles , livre ebook

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Date de parution

01 janvier 2011

EAN13

9782811105068

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

12 Mo

Simon Imbert-Vier
Tracer des frontières à Djibouti
e e Des territoires et deshommes auxXIXetXXsiècles
KARTHALA
TRACER DES FRONTIÈRES À DJIBOUTI
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Photo de couverture: Légionnaires installant un barrage dans la ville de Djibouti, extraite deFrench Somaliland ó The infamous referendum ó Sequel to öA classic colonial caseõ, publication du ministère des Affairesétrangères de la République somalienne, Mogadishu, avril 1967, 20 p. (DR).
Éditions KARTHALA, 2011 ISBN : 978-2-8111-0506-8
Simon Imbert-Vier
Tracer des frontières à Djibouti
Des territoires et des hommes e e auxXIXetXXsiècles
Éditions KARTHALA 22-24, bd Arago 75013Paris
Cet ouvrage est publié avec le concours du Centre d’études des mondes africains (CEMAF) et de l’équipe ANR Frontafrique.
LES LIMITES DE LA FRONTIÈRE
Le mot «frontière» «est un dérivé (1213) de front (faire front), le sens moderne venant sans doute d’expressions du type «pays de frontière», c’est-à-dire gardé par une armée, une place forte qui fait front à l’ennemi : le moyen français connaît l’adjectif frontier, d’où “ville frontière”. En ancien français, le mot désigne le front d’une armée, puis (1292) une place fortifiée faisant face à l’ennemi. Frontière se dit aujourd’hui de la limite séparant deux Etats (v. 1360) et par extension de la limite d’un territoire. Par analogie on parlera (1770) des frontières d’une région ou de frontières linguistiques, etc. Au figuré frontière s’emploie (1700) pour “limite” séparant des domaines abstraits ou concrets».
Le mot «limite» «a été emprunté (v. 1372) au latinlimes, limitis“chemin bordant un domaine”, “sentier entre deux champs”, “limites, frontière” mot sans étymologie connue que l’on rapproche, à titre d’hypothèse, de limen “seuil”. Apparu avec le sens concret de “ce qui borde un terrain, un territoire”, “ligne de démarcation entre territoires contigus”, limite a aussi développé un sens plus abstrait, tant 1 spatial que temporel» .
La frontière et la limite se répondent, décrivant une ligne qui entoure, 2 partage ou sépare . Cependant, tandis que la frontière unit et met en relation les territoires délimités, la limite implique une fin. Les frontières se franchissent, les limites se dépassent, se déplaçant sans être traversées puisque l’expansion maximale crée une nouvelle limite. En ce sens, une limite est un cas particulier de frontière, dont la fonction n’est pas de joindre des espaces mais de les (dé)finir. Les frontières n’enserrent pas que des espaces nationaux, mais toutes sortes de représentations ; les étudier à Djibouti se situe dans cette approche générale. Djibouti est lui-même une frontière, au bord de la mer Rouge, à la lisière des espaces africains et arabes, musulmans, chrétiens et animistes, marche de et vers l’Ethiopie, première escale sur la route des parties malgache et orientales de l’empire colonial français. L’espace djiboutien est parcouru et traversé par des voyageurs et des nomades depuis les temps historiques au 1. Rey (Alain), dir. [1998],Dictionnaire historique de la langue française, Robert, re Paris, (1 éd. 1992),s.v.«Frontière» et «Limite». 2. Selon Lucien Febvre [1928], l’expression «délimiter une frontière» remonte à 1773.
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3 4 moins . Ce petit pays de la Corne de l’Afrique autour du golfe de Tadjoura , est nommé «Côte française des Somalis» de 1896 à 1967, puis «Territoire français des Afars et des Issas» jusqu’à son indépendance en 1977. Il prend alors le nom de sa capitale et principale agglomération, où réside environ 70% de sa population, pour devenir la «République de Djibouti». «Djibouti» désigne le territoire créé par l’action coloniale et sa ville principale. Si le nom administratif désigne l’espace réel, avec ses variations dans le temps, le terme «Djibouti» évoque la représentation de cette réalité telle qu’elle est imaginée sans être toujours précisément définie. Ce n’est pas un terme descriptif, mais une dénomination générique de la représentation de ce territoire.
5 La Côte française des Somalis à la fin des années 1950 Les questions frontalières ne sont pas sans conséquences dans la Corne de l’Afrique contemporaine. Après la défaite de son gouvernement militaire devant les mouvements érythréen et tigréen en 1991, suivie de l’indépendance de l’Erythrée en 1993, l’Ethiopie est devenue un Etat fédéral qui découpe ses frontières internes selon des critères «ethniques» qui n’empêchent pas 6 la persistance de résistances locales . Après avoir procédé à l’expulsion
3.
4.
5. 6.
Pour une synthèse assez récente sur ce sujet : Anfray (Francis) [1990],Les Anciens Ethiopiens, Armand Colin, Paris. , 2 2 23 000 km soit un peu plus petit que l’Albanie (28 700 km ) et plus de deux 2 fois plus grand que le Liban ou Chypre (environ 10 000 km ). Carte extraite de Poinsot (Jean-Paul) [1964]. Sur l’organisation fédérale de l’Ethiopie post-DERG, voir Barnes (Cédric),
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mutuelle de leurs ressortissants, l’Ethiopie et l’Erythrée se sont affrontées entre 1998 et 2000, officiellement pour le contrôle de la ville frontalière de Badme mais l’offensive éthiopienne en direction d’Assab a confirmé l’enjeu de l’accès à la mer. Une forte tension persiste entre les deux pays malgré les interventions internationales (arbitrage de la cour de La Haye et envoi d’une force d’interposition de l’ONU). Au Sud, la partie méridionale de la frontière entre la Somalie et l’Ethiopie dans l’Ogaden n’a jamais été délimitée. L’Ethiopie prend depuis quelques années des gages territoriaux en Somalie, mais a échoué dans sa tentative de contrôle du Sud du pays, entre décembre 7 2006 et janvier 2009 . A son accession à l’indépendance en 1960, la Somalie se fonde idéologiquement sur la volonté d’unifier cinq «territoires somalis» (Somalia, Somaliland, Somalie française, Ogaden, «Northern District» du Kenya), symbolisés par les cinq branches de l’étoile de son drapeau. La guerre civile qui sévit en Somalie depuis 1988, la renaissance du Somaliland, puis l’apparition du Puntland, ont relancé la question nationale dans une direction opposée, (re)créant des frontières. Début 2004, le président kenyan Arap Moi «a confirmé que l’Ethiopie et le Kenya […] n’avaient aucune envie de voir 8 une Somalie réunie et forte émerger» . A Djibouti, les enjeux des limites administratives internes sont toujours présents dans les conflits entre le gouvernement et les différentsFRUD(«Front 9 pour la Restauration de l’Unité et la Démocratie») depuis 1991 , qui ne posent pas la question nationale ; 80 000 «réfugiés étrangers» (soit officiellement 10 15% de la population du pays) sont expulsés en septembre 2003 ; en 2006, la privatisation de la compagnie qui exploite la ligne de chemin de fer entre Djibouti et Addis Abeba a échoué, mais pas celle du port de Djibouti étendu à Doralé, concédé à une société de Dubaï. Le territoire djiboutien est devenu, depuis 1991, un des points d’appui de l’armée américaine qui opère au Proche-11 Orient et deviendra peut-être sa principale tête de pont en Afrique . Les
Marchal (Roland), Osmond (Thomas) et Vaughan (Sarah), éd., «Ethiopie : le fédéralisme en question»,Politique africaine, n° 99, octobre 2005 et Turton (David), éd. [2006],Ethnic Federalism, the Ethiopian Experience in Comparative Perspective, James Currey, Ohio UP et Addis Abeba UP, Eastern African Studies. 7.Le Mondedes 22, 24 et 27-28 août et 2 décembre 2006 et 2 décembre 2008. Le retrait éthiopien est annoncé le 22 décembre 2008. 8.Les Nouvelles d’Addis, n° 39, janvier-mars 2004. 9.Ibidem, n° 24, juillet-septembre 2001, et n° 30, juillet-septembre 2002. 10. Rémy (Jean-Philippe), «Menacés d’expulsion manu militari plus de 80 000 sans-papiers ont quitté Djibouti»,Le Monde, 17/9/2003 ;Les Nouvelles d’Addis, n° 37, septembre-novembre 2003. 11. Zecchini (Laurent), «Djibouti, avant poste des GI en Afrique»,Le Monde,
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frontières sont au cœur de l’actualité, comme le montre encore l’incident 12 frontalier de mai 2008 entre Djibouti et l’Erythrée dans la région de Douméra . De l’autre côté de la mer Rouge, la construction du Yémen par le regroupement en 1990 de l’ancienne colonie britannique d’Aden, devenue Sud-Yémen, avec le Nord-Yémen, n’est toujours pas assurée. Après des 13 affrontements en 1994, des tensions séparatistes persistent et la question frontalière reste ouverte. Sur la frontière avec l’Arabie, des affrontements opposent les forces yéménites à des insurgés qui auraient des ambitions 14 territoriales . Limites et frontières La question des frontières interroge les sciences humaines, de la linguistique à la géographie et de l'histoire à l'anthropologie, soucieuses d’aller au-delà de la simple description juridique qui n’y voit le plus souvent qu’une 15 limite de souveraineté, «les enveloppes des ensembles étatiques» . Dans une vision plus dynamique de la frontière juridique, Monique Chemillier-Gendreau va au-delà de «la ligne de partage des souverainetés» et parle de «la ligne de compression des souverainetés ; en effet, dans la formation des Etats (…) les plus forts ont comprimé territorialement à l’extrême la souveraineté de leurs voisins pour fixer leur ligne frontière en étendant au maximum leurs 16 possessions territoriales» . e Au XIX siècle, les frontières sont envisagées par le biais de l’histoire diplomatique, comme un enjeu de la construction nationale. En France, la question est exacerbée par la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871. Dans le cadre de la construction des identités nationales européennes, il s’agit alors de mettre en évidence les «vraies» frontières des pays en construction. 17 Après un article pionnier de Lucien Febvre (1878-1956) en 1928 , qui e e analyse la réalisation des frontières linéaires en Europe entre les XV et XIX
19/7/2007. 12.Ibidem: Turquoi (Jean-Pierre), «Un différend territorial menace de tourner au conflit armé entre Djibouti et l’Erythrée», 13/5/2008 ; «La France renforce son aide militaire au gouvernement de Djibouti» ; 15-16/6/2008 ; «On ne laissera pas l'Erythrée occuper une partie de notre territoire», entretien avec Ismaël Omar Guelleh par Jean-Pierre Turquoi, 27/6/2008. 13.Ibidem, 16/12/2009. 14.Ibidem, 10/11/2009. 15. Lafourcade (Maïté) [1998], éd.,La frontière des origines à nos jours, Presses Universitaires de Bordeaux, 1998, introduction non paginée. 16. Chemillier-Gendreau (Monique) [1982], «Synthèse juridico-politique», in Coquery-Vidrovitch (Catherine), éd., pp. 30-40 (citation p. 31). 17. Febvre (Lucien) [1928], «Frontière : le mot et la notion»,Revue de synthèse historique, Paris, XLV, juin, pp. 31-44.
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siècles et insiste sur leur lien avec la construction des Etats, la question est reposée par des géographes préoccupés des espaces, de leur définition et de leurs relations. En 1938, Jacques Ancel (1882-1943), spécialiste des Balkans, 18 publie uneGéographie des frontièrespréfacée par André Siegfried (1875-1959). Il s’oppose tant aux tenants des «frontières naturelles» (basées sur des éléments topographiques) qu’aux géopoliticiens allemands, successeurs de Friedrich Ratzel (1844-1904), qui cherchent à définir les frontières de «l’aire germanique». Il considère que «la géographie des frontières n’est qu’un aspect de la géographie politique», et accorde donc une place centrale à «l’homme […], créateur conscient des groupements, qu’il se contente d’adapter aux éléments naturels». L’étude de la frontière est celle de l’espace social qu’elle marque, «ce n’est pas […] le cadre qui importe mais ce qui est encadré» (p. 3). Jacques Ancel propose donc une typologie des frontières basée sur des formes politiques («Etats amorphes», «frontières plastiques» et «frontières mouvantes»), mentionne des «Etats nomades», envisage la relation entre frontière et Etat, parle de la frontière comme d’un trait ou d’une zone et des frontières maritimes qui elles aussi unissent les hommes. Il conclut que «la frontière est un isobare politique, qui fixe, pour un temps, l’équilibre entre deux pressions : équilibre de masses, équilibre de forces. Il n’y a pas de problèmes de frontières. Il n’est que des problèmes de Nations» (p. 196). En conséquence, il exclut explicitement l’Afrique du champ de la frontière, car il la pense constituée non de nations mais seulement de «sociétés primitives» isolées, de «groupes moléculaires, cantonnés sur un coin du globe, sans jamais 19 se chercher ni se joindre» . Parallèlement, les historiens des relations internationales renouvellent 20 l’histoire diplomatique . En accord de fait avec Jacques Ancel, ils décrivent les frontières comme le reflet des relations entre des nations (et des peuples) qu’elles dessinent : une représentation du politique. Par exemple, Pierre Renouvin (1893-1974) considère que la fabrication des frontières en Europe à la fin de l’épisode napoléonien s’est faite «en fonction d’une conception e de l’Etat qui avait été celle du XVIII siècle ; elle avait négligé le sentiment 21 national» .
18. Ancel (Jacques) [1938],Géographie des frontières, Gallimard, Paris. 19. Ancel (Jacques)op. cit., p. 7 et le chapitre 1. 20. Pour une synthèse de ces conceptions, voir Renouvin (Pierre), Duroselle (Jean-Baptiste) [1964],Introduction à l’histoire des relations internationales, Armand Colin, Paris. 21. Renouvin (Pierre) [1954],Histoire des relations internationales, tome 5, «Le e XIX siècle - De 1815 à 1871», Hachette, Paris, p. 7.
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