164
pages
Français
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2018
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Publié par
Date de parution
15 février 2018
Nombre de lectures
17
EAN13
9782895967286
Langue
Français
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Date de parution
15 février 2018
Nombre de lectures
17
EAN13
9782895967286
Langue
Français
© Lux Éditeur, 2018
www.luxediteur.com
© Regents of the Univesity of Minnesota, 2014
Titre original: Red Skin, White Masks: Rejecting the Colonial Politics of Recognition
University of Minnesota Press
Dépôt légal: 1 er trimestre 2018
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN: 978-2-89596-260-1
ISBN (pdf): 978-2-89596-915-0
ISBN (epub): 978-2-89596-728-6
Ouvrage publié avec le concours du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition, ainsi que du Programme national de traduction pour l’édition du livre, une initiative de la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018: éducation, immigration, communautés , pour nos activités de traduction.
Pour Richard Park Coulthard (1942-2012)
Avant-propos
par Taiaiake Alfred
I L N’Y A PAS SI LONGTEMPS , le Canada comptait un peu moins de 14 millions d’habitants: 13 millions d’êtres humains et un demi-million d’Autochtones. Les premiers possédaient le territoire; les autres n’en gardaient que le souvenir. Entre les deux, des chefs salariés, une division des Affaires indiennes et une petite bourgeoisie servaient d’intermédiaires — tous plus trompeurs les uns que les autres. Dans cette colonie qui n’en finissait plus, la vérité se dévoilait, crue, mais les colons préféraient la cacher ou la déguiser: les Autochtones devaient aimer les colons, aimer tout ce qu’ils avaient fait pour eux, un peu comme les enfants doivent aimer un père cruel malgré tous les coups qu’il leur assène. L’élite blanche s’est donc affairée à confectionner une élite autochtone. Elle a choisi les jeunes les plus prometteurs, les a enivrés avec les principes du capitalisme et de la culture occidentale; elle leur a enseigné à renier leurs racines indiennes et leur a rempli la tête et la bouche d’hypocrisies convaincantes mais fausses, de grands mots avides qu’ils crachaient même s’ils écorchaient leur gorge. Après un court séjour à l’université, on les renvoyait dans les réserves ou on les relâchait, blanchis, dans les villes. Tout ce que ces mensonges ambulants avaient à dire à leurs frères et sœurs sonnait faux, dégoûtant ou malsain; ils ne pouvaient qu’imiter leurs maîtres. Du haut des tours de bureaux de Toronto, de Montréal et de Vancouver, des hommes d’affaires scandaient les mots «développement! progrès!» et quelque part dans les réserves, on entendait dire en écho: «…oppement! …grès!» Les Autochtones étaient complaisants et accommodants; c’était une époque lucrative pour l’élite blanche.
Puis les choses ont changé. Les langues autochtones ont commencé à se délier; leurs voix colorées parlaient toujours de la loi des Blancs, de leur démocratie et de leur humanisme libéral, mais seulement pour en souligner l’injustice et l’inhumanité. Non sans plaisir, les élites blanches ont écouté leurs plaidoyers pour la réconciliation, ponctués d’expressions de rancœur et de reproches polis. Elles étaient visiblement satisfaites: «Vous voyez? Ils arrivent à bien parler l’anglais sans l’aide d’un prêtre ou d’un anthropologue, comme nous le leur avons enseigné. Regardez ce que nous avons fait de ces Sauvages arriérés — on croirait entendre des avocats!» Les Blancs étaient convaincus que les Autochtones accepteraient leurs idéaux, puisque les Autochtones les accusaient de ne pas leur être fidèles. Les colons pouvaient ainsi continuer de croire à la sainteté de leur divine mission de civilisation; ils avaient européanisé les Premières Nations, ils avaient créé un nouveau type d’Autochtone: l’Assimilé. Conscientes de ce fait, les élites blanches, tels les bons progressistes du monde (post)moderne qu’elles étaient, murmuraient, dans l’intimité de leur salle à manger: «Laissons-les se plaindre et pleurer; c’est comme une thérapie et ça en vaut le coup. Ce sera toujours mieux que de leur redonner le territoire!»
La tromperie tire aujourd’hui à sa fin. Les penseurs et les dirigeants autochtones se sont invités à la table avec l’intention de changer les choses du tout au tout. Armés des restes de notre patience, les écrivains, musiciens et philosophes autochtones tentent d’expliquer aux colons que leurs valeurs et les faits de leur existence s’opposent, et que les Autochtones ne pourront jamais être complètement effacés ni entièrement assimilés. Cette nouvelle intelligentsia autochtone tente de raisonner les colons et de leur faire comprendre que le colonialisme doit être contesté et qu’il sera détruit. Nous ne sommes plus en 1947; nous ne parlons plus de réformer la Loi sur les Indiens pour obtenir le statut de petites municipalités. Nous ne sommes plus en 1982; nous ne parlons plus d’intenter des procès pour statuer sur des promesses constitutionnelles vides.
Nous sommes au XXI e siècle. Tendez l’oreille: «Ce que l’on identifie dans le discours canadien de la réconciliation comme une incapacité malsaine et débilitante à pardonner et à aller de l’avant est en fait un témoignage de conscience critique , de notre sens de la justice et de l’injustice, et de notre compréhension et de notre refus de nous réconcilier. » Coulthard parle de soulèvement, de «voir rouge», de résurgence et des politiques d’auto-affirmation authentique. Son ouvrage est un appel à la lutte contre le colonialisme contemporain et ses effets: l’asservissement, l’aliénation et la manipulation de notre véritable nature. Coulthard comprend qu’à l’heure actuelle, au Canada, «régler le conflit» équivaut à délaisser le passé, à oublier délibérément, comme un complot d’ignorance collective, les crimes qui ont entaché la psyché de ce pays pendant si longtemps, et à détourner les yeux devant les crimes incessants — le vol, la fraude et l’abus — qui teintent, de façon aussi inacceptable que quotidienne, la réalité des premiers habitants du territoire du Canada. Comment pourrait-on, alors, se contenter d’accepter les injustices normalisées qui structurent, façonnent et colorent nos vies sans les remettre en cause? Il n’y a rien de normal dans la dominance du peuple blanc sur le continent nord-américain, ni dans la suppression et l’effacement de notre peuple, de nos lois et de nos cultures sur notre terre d’origine.
Glen Coulthard est une voix majeure de la nouvelle intelligentsia autochtone, et la portée de cet ouvrage est considérable. Qu’il ait sorti Karl Marx de sa prison du XIX e siècle à la British Library pour en proposer une relecture à la lumière de toute notre histoire et du paysage humain suffit à faire de ce livre un incontournable de la théorie politique. Il va toutefois bien plus loin en corrigeant les visions limitées de Jean-Paul Sartre et de Frantz Fanon — il faudra leur pardonner: ils philosophaient au beau milieu d’un féroce combat physique — et en unissant Marx, Sartre et Fanon aux aînés de sa nation, les Dénés, ainsi qu’à vous, cher lecteur ou chère lectrice, et moi, pour montrer combien notre attachement psycho-affectif envers le colonialisme empêche l’édification d’une société juste. Ce livre offre une critique pénétrante du colonialisme contemporain et une vision claire de la résurgence autochtone, en plus de constituer une contribution importante à la pensée révolutionnaire.
INTRODUCTION
Les sujets de l’Empire
La véritable reconnaissance de notre présence et de notre humanité exigerait une reconsidération fondamentale du rôle de tellement de gens en Amérique du Nord que cela représenterait un plongeon vertigineux dans l’imaginaire collectif.
George M ANUEL et Michael P OSLUNS , The Fourth World
D E «PUPILLES DE L’ÉTAT» À SUJETS DE RECONNAISSANCE?
A U COURS DES QUARANTE DERNIÈRES ANNÉES au Canada, les efforts et les objectifs des peuples autochtones en matière d’autodétermination ont surtout été dépeints dans la langue de la «reconnaissance [1] ». Considérons, par exemple, la déclaration formelle que mon peuple a émise en 1975:
Nous, Dénés des Territoires du Nord-Ouest, insistons sur notre droit fondamental d’être considérés, par nous-mêmes et par le reste du monde, comme une nation.
Nous luttons pour la reconnaissance de la Nation dénée par le gouvernement canadien et la population canadienne, ainsi que par les gouve