La surprise électorale Paradoxes du suffrage universel , livre ebook

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Publié par

Date de parution

01 février 2007

Nombre de lectures

0

EAN13

9782845868441

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Science Politique Comparative
La surprise électorale Paradoxes du suffrage universel
Olivier Dabène, Michel Hasting et Julie Massal
Karthala Centre de Science Politique Comparative  IEP AixenProvence
Avant-pro
pos
Olivier DABÈNE, Michel HASTINGS
Dans ses rapports au politique, la surprise s’est longtemps imposée comme une figure hybride, partageant ses effets entre la crainte et la célé-bration. Ce fut ainsi longtemps l’usage décisif de la surprise qui permit la 1 fabrique du héros et de sa gloire ; mais c’est également la surprise qui 2 savait recomposer les destins et détourner les hommes des Vertus . Les ambiguïtés constitutives de la surprise résident dans sa primitive consan-guinité avec les idées de ruse, de trahison et d’infortune, que toute une tradition philosophique a essayé tant bien que mal de circonscrire aux 3 savoir-faire du Pouvoir et de la Guerre . Avec le secret, la surprise s’est imposée à la Renaissance dans la littérature des Miroirs des Princes comme une technique relevant des arts de gouvernement. En subordon-nant la moralité à la nécessité, le projet machiavélien inscrivait ainsi le pouvoir de l’homme sur l’homme dans une problématique du mystère, 4 dont la tradition desArcana Imperiitémoigne de l’importance . Modalité stratégique de toute entreprise de domination, la surprise fut également pensée à travers les risques qu’elle faisait encourir au pouvoir. L’élabora-tion de la théorie de la Raison d’Etat représente l’une des plus célèbres entreprises de conjuration de la surprise au moyen d’un changement com-plet du paradigme de l’action publique, désormais articulée autour des 5 impératifs de prédiction, d’anticipation et de rationalité administrative .
1. Jean-Pierre Vernant,L’univers, les Dieux, les hommes, Paris, Seuil, 1999. 2. Mona Ozouf,Varennes.La mort de la royauté, Paris, Gallimard, 2005. 3. Denis Crouzet,Le haut cœur de Catherine de Médicis, Paris, Albin Michel, 2005. 4. Michel Sennelart,Les arts de gouverner, Paris, Seuil, 1995. 5. Christian Lazzeri et Dominique Reynié,Le pouvoir et la raison d’État, Paris, PUF, 1992.
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LA SURPRISE ÉLECTORALE
La démocratie représentative prolonge cette interrogation sur la place de l’imprévu dans le lien politique. Il a souvent été rappelé, à la suite d’Alexis de Tocqueville ou de Victor Hugo, que l’élection constituait un formidable antidote aux émotions révolutionnaires, l’apprentissage de la culture du vote étant censée non seulement pacifier les mœurs civiques mais aussi mettre un terme aux accidents de l’Histoire. L’élection s’est donc imposée comme un mode de régulation des conflits et de neutralisa-tion du pouvoir de surprise que détenait notamment le Peuple émeutier. La lente politisation des électorats s’est longtemps accompagnée de pra-tiques d’encadrement destinées à produire les résultats attendus. Voter était alors un acte de confirmation des autorités sociales légitimes. C’est à peu près au même moment qu’une psychologie sommaire s’attache à contrôler et moraliser l’« âme des foules », dont on dénonce l’impulsivité, la mobilité et l’irritabilité, bref le potentiel de surprise. Sa sauvagerie et sa féminité en expliquent les sautes d’humeur et le traitement consiste à inventer une science de la conduite mentale des foules qui censurera toute 6 émotivité intempestive . Mais en organisant de manière régulière des élections qualifiées de libres et de concurrentielles, en faisant de l’élec-teur un sujet conscient dont la capacité d’exprimer un choix ne saurait être entravé par la contrainte ou la violence, en inventant une ingénierie du recueillement et du secret (enveloppe, isoloir, urne), la théorie de la 7 démocratie électorale n’est pas parvenue à se débarrasser de la surprise . Bien au contraire, celle-ci semble se nourrir des exigences démocratiques 8 elles-mêmes . Le verdict des urnes relève en effet désormais d’une dra-maturgie nécessaire de l’étonnement. C’est d’ailleurs la Révélation du résultat que redoutent les régimes autoritaires ou totalitaires dans lesquels « le vote pas comme les autres » tend au contraire à célébrer les vertus de la fin prévisible. C’est aussi ce suspense insupportable que le fétichisme actuel des sondages s’emploie à prétendre vouloir éventer.
Les élections critiques ou de rupture ont de longue date été identifiées dans la littérature de science politique comme des moments clefs de la vie démocratique où les électeurs suscitent par leur comportement un change-ment d’un ordre électoral vers un autre. De nouveaux rapports de force politiques s’établissent soudainement pouvant se voir confirmés par les 9 élections suivantes, qui s’avèrent alors être des élections de réalignement .
6. Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, PUF, 1895. 7. Pippa Norris,Electoral Engineering. Voting Rules and Political Behavior, Cambridge, Cambridge University Press, 2004. 8. Albert Hirschman,Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, 1983. Egalement François Masnata,Le politique et la liberté, Paris, L’Harmattan, 1990. 9. Voir les développements de Pierre Martin sur ce sujet dansComprendre les évolutions électorales. La théorie des réalignements revisitée, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.
AVANT-PROPOS
7
La sociologie électorale semble avoir prudemment considéré que l’étude de telles élections ne devait être entreprise que dans les régimes démocratiques pleinement consolidés, offrant à l’observateur des données longitudinales à même de faire apparaître des ruptures, infléchissements et rééquilibrages politiques. Les régularités et crises dans les comporte-ments électoraux s’apprécient mieux au regard de la longue durée, et dans des contextes politiques routinisés. Lorsqu’un tel recul fait défaut, la caractérisation d’une élection s’avère un exercice périlleux. Pour autant, depuis une trentaine d’années, la multiplication dans le monde de régimes démocratiques, ou tenant à intervalle régulier des élec-tions plus ou moins concurrentielles, ouvre un nouveau champ d’observa-tion. Les régimes politiques organisant ces scrutins sont souvent instables, à peine sortis des phases de « transition », ce qui implique une faible consolidation des systèmes de partis, de fréquentes contestations et révisions des règles électorales et, surtout, des comportements électoraux qui n’ont guère eu le temps de s’enraciner dans la durée, à l’image de ceux qui intriguaient André Siegfried dans la France de la Troisième République. Dans certains d’entre eux, de surcroît, les transitions vers la démocratie se sont déroulées dans des contextes dramatiques donnant une saillance particulière à certains scrutins « fondateurs », saillance suscep-tible de s’estomper rapidement ou de structurer durablement des clivages, ajoutant à la perplexité des observateurs. Et, de fait, nombre de ces élections semblent défier toute capacité d’entendement, tant en termes de participation que de comportement électoral. En l’absence de repères stabilisés, les observateurs parfois les mieux avertis concèdent une certaine surprise au vu des résultats d’élec-tions organisées dans des pays récemment passés à la démocratie, ou en voie de démocratisation.
Cet ouvrage a choisi de s’intéresser à ce type d’élections. Le lecteur y trouvera des études portant sur des pays aussi différents que la Haute-Volta, le Bénin et le Zimbabwe (Patrick Quantin), le Maroc (Myriam Catusse), la Russie (Olga Belova), la Colombie (David Garibay), la Turquie (Gérard Groc), l’Équateur et la Bolivie (Julie Massal). A des degrés divers, et selon des modalités différentes, ces élections se sont toutes soldées par des résultats imprévus dans des contextes politique de fluidité. Aucune autre logique n’a toutefois présidé à la sélection de ces cas que celle de leur télescopage dans l’actualité internationale. Le parti pris par les auteurs des différents chapitres a délibérément consisté à convertir un handicap méthodologique en une opportunité de renouvellement des questionnements. Ne disposant que de très peu de données permettant d’évaluer « objectivement » le potentiel de rupture des scrutins analysés, il a paru fécond d’interroger le registre et le conte-
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LA SURPRISE ÉLECTORALE
nu des discours auxquels ils donnent lieu. La fréquence du recours à la notion de surprise dans les commentaires pré- et post-électoraux ayant d’emblée retenu l’attention des chercheurs, la problématique de cet ouvrage s’est centrée sur ce thème. La surprise électorale n’est au demeurant pas une problématique uni-quement retenue par défaut. En situant l’analyse au fondement de l’incer-titude liée au scrutin démocratique, et à son degré d’acceptation, elle donne à voir des phénomènes complexes de construction sociale d’attentes. En ce sens, elle permet de dépasser les analyses classiques qui s’attachent soit à relativiser le caractère surprenant d’un résultat électoral au regard de tendances lourdes ou d’enjeux particuliers (issues), soit au contraire à en souligner la portée inattendue. Au-delà de l’éclairage des cas évoqués plus haut, cet intérêt de la pro-blématique de la surprise électorale est bien montré dans cet ouvrage par les trois chapitres qui traitent d’élections dans deux pays aux traditions consolidées : la France (Annie Laurent, Benoît Verrier) et la Suède (Yohann Aucante). Pour la France, la surprise évoquée n’est pas celle, que l’on aurait pu attendre dans cet ouvrage, du 21 avril 2002, sujet déjà amplement traité. Le choix s’est porté sur la candidature de Jean-Pierre Chevènement, et sur une réflexion sur la surprise électorale sous l’angle de l’attendu à partir des élections présidentielles et législatives qui se sont tenues sous la Cinquième République. Il l’est aussi par les deux chapitres introductifs, qui réfléchissent à la notion de surprise (Paul Bacot, Michel Hastings).
Cet ouvrage se présente comme l’heureux aboutissement d’un projet collectif mené dans le cadre du groupe « Politique comparée » de l’Association française de science politique (AFSP). Créé en 2003, ce groupe a choisi dès sa première réunion, tenue à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence le 3 juillet 2003, de s’intéresser aux élec-tions aux résultats imprévus et spectaculaires. De nombreuses élections dans le monde venaient de provoquer des renouvellements complets de personnels dirigeants, amenant au pouvoir des forces politiques nou-velles, et il paraissait intéressant d’en confronter les interprétations. Mais la proximité du fameux premier tour de l’élection présidentielle française de 2002 incitait à ne pas cantonner la réflexion à des cas « exo-tiques », ce qui au reste était cohérent avec la démarche de ce groupe de travail de l’AFSP, soucieux de mobiliser au-delà des cercles restreints de spécialistes d’« aires culturelles ». 10 Les deux réunions suivantes du groupe ont permis d’affiner la problé-
10. Organisées au CERI à Paris le 15 décembre 2003 et à l’IEP d’Aix-en-Provence le 30 juin 2004. Les comptes rendus sont disponibles sur le site de l’AFSP : http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/polcomp/polcomp.html
AVANT-PROPOS
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matique. Les participants se sont livrés à un exercice collectif de comparatis-me des plus productifs, dont ce livre reprend les principales contributions. A l’issue de cette première expérience, le groupe « Politique comparée » aura mis à l’épreuve une méthode de travail. La confrontation d’études de cas très divers a permis de faire émerger une problématique qui a retenu l’attention des spécialistes d’études électorales, et la mise en perspective des cas à l’aune de cette problématique commune a permis de les extirper de leurs singularités. Naturellement, l’expérience aura pleinement rempli ses objectifs si ce livre est lu avec quelque profit tant par les comparatistes que par les élec-toralistes. Des uns et des autres nous sollicitons toutefois une certaine indulgence.
La participation active à toutes les réunions de la responsable du Groupe d’analyse électorale (GAEL) de l’AFSP, Annie Laurent, a beau-coup contribué à faire en sorte que les réflexions des comparatistes ne s’égarent pas trop dans des détails propres à leurs terrains. Qu’elle en soit ici chaleureusement remerciée. Ce projet n’aurait pas pu aboutir sans le dévouement de Julie Massal, qui nous a efficacement secondés dans la préparation et l’organisation des journées, ainsi que dans la phase de confection de cet ouvrage. Toute l’équipe du Centre de science politique comparative (CSPC) d’Aix-en-Provence, notamment Karine Wepierre, a efficacement prêté son concours à l’entreprise. Ce livre lui doit beaucoup.
PREMIÈRE PARTIE
PENSER LA SURPRISE ÉLECTORALE
1
La surprise électorale ou les infortunes de l’énonciation
Michel HASTINGS
« C’est demain le jour de l’élection solennelle du Bienfaiteur. Nous remettons au Bienfaiteur les clefs de notre Bonheur. Il va de soi que cela n’a rien de commun avec les élections désordonnées et inorganisées qui avaient lieu chez les anciens et dont – cela paraît ridicule – le résultat lui-même était inconnu à l’avance. Que peut-il y avoir de plus insensé que d’organiser un État sur des contingences absolument imprévisibles, à l’aveuglette ? Et le plus fort, c’est qu’il ait fallu des siècles pour com-prendre cela. Est-il besoin de dire que rien chez nous n’est laissé au hasard ? Rien d’inattendu ne peut survenir […] On dit que les anciens pratiquaient le vote secret, en se cachant comme des voleurs. Certains de nos historiens affirment même qu’ils arrivaient soigneusement masqués aux urnes [….] Pourquoi tout ce mystère ? Nous n’en savons rien aujourd’hui. Il est probable que les élections étaient accompagnées de cérémonies mystiques et, peut- être même, criminelles. Nous n’avons rien à cacher, nous n’avons honte de rien, c’est pourquoi nous fêtons les élec-tions loyalement et en plein jour. Je vois les autres voter pour le Bienfaiteur et ceux-ci me voient également. Pourrait-il en être autrement 1 puisque “tous” et “moi” formons un seul “Nous” ? » .
Dans cet extrait deNous Autres(1923), Eugène Zamiatine nous parle d’un monde meilleur dans lequel la communauté des hommes réitèrerait son allégeance au pouvoir divin au cours de rituels destinés à célébrer les noces de la transparence et de la prévisibilité. Il s’agit bien entendu d’une prophétie politique sur la montée des régimes totalitaires que l’auteur sai-
1. Eugène Zamiatine,Nous Autres, Paris, Gallimard, 1971, p. 144.
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