256
pages
Français
Ebooks
2000
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Publié par
Date de parution
01 octobre 2000
Nombre de lectures
2
EAN13
9782738170361
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
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01 octobre 2000
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2
EAN13
9782738170361
Langue
Français
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© ODILE JACOB , octobre 2000 15, RUE SOUFFLOT , 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-7036-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Pour Donatella,
INTRODUCTION
Aucun discours sur l’Amérique n’est neutre. De façon explicite ou implicite, ceux qui s’expriment à son sujet prennent parti. Leur jugement est souvent formulé en termes de réussite totale ou d’échec total. Il se ramène à l’une ou l’autre de deux prédictions : « l’Amérique gagnera, l’Amérique perdra. » Triomphe ou désastre.
Qui se soucierait de demander si la France va réussir ou échouer ? La question est dépourvue de sens. La France est la France, elle le restera. Mais on raisonne comme si l’Amérique, elle, était engagée dans une sorte de pari perpétuel qu’elle serait appelée à gagner ou à perdre.
Ce qui m’a intéressé en entreprenant ce livre, ce n’est pas vraiment de dire si l’un ou l’autre de ces pronostics, échec total ou succès total, a des chances d’être vérifié. Une connaissance même très moyenne du pays ou tout simplement un minimum d’esprit critique suffisent à écarter ces deux scénarios. J’ai plutôt été poussé par le désir de mettre au jour les raisons pour lesquelles ils sont si fréquemment proposés, tant par les Américains eux-mêmes que par les observateurs étrangers. J’ai eu aussi envie de faire la part, dans les jugements qui sont portés sur l’Amérique, entre les exagérations en tous genres et l’analyse de bonne foi.
Pourquoi cette propension au jugement à l’emporte-pièce dès que les États-Unis sont en cause ?
Elle tient d’abord, me semble-t-il, aux Américains eux-mêmes, et au caractère particulier de leur identité nationale. Leur nation s’est formée autour d’un projet qui paraît d’une modestie rassurante mais qui est en réalité singulièrement ambitieux. Il ne s’apparente pas à un programme de conquête ou de domination. Il s’agit tout simplement de mettre en œuvre un principe moral, celui selon lequel la société doit être fondée sur la liberté individuelle, et de réaliser un rêve humain, celui du bonheur obtenu à travers le succès par l’effort personnel. À chaque époque cette ambition se traduit de façon différente suivant la situation du monde, l’état des techniques et le développement de l’économie. La « poursuite du bonheur » était champêtre au temps de Jefferson, industrielle à l’époque d’Henry Ford ; elle prend un autre aspect à l’ère d’Internet, de la biotechnologie et des voyages interplanétaires.
Mais malgré son apparente innocuité, cette ambition en réalité va loin. Ceux qui partagent le rêve américain sont persuadés qu’ils sont motivés par la seule vertu et que la société qu’ils ont bâtie et qu’ils cherchent à perfectionner est intrinsèquement une société libre et fondée sur le respect du droit.
Chaque Américain se sent le devoir de tout faire pour que le projet national se réalise. En même temps il ne peut pas ne pas être convaincu que les États-Unis sont le pays libre et juste par excellence.
Ainsi les États-Unis ne sont pas comme la France, l’Allemagne ou le Japon un pays qui sait qui il est et qui persévère dans cet être. Son patriotisme est d’une autre nature, moins charnelle et plus morale. L’Amérique est une aventure, une expédition en marche, un projet en devenir.
De nos jours cette aventure paraît moins exaltante qu’au temps de la conquête de l’Ouest. Elle a son côté terre à terre. La grande affaire est la consommation. Cependant le « rêve amé-ricain » guide toujours chacun des citoyens des États-Unis, et, collectivement, ils ont besoin de sentir qu’ils sont inspirés par des idéaux. Même à une époque prosaïque ils voient leur avenir avec une certaine emphase.
Dès lors que l’Amérique se définit comme une ambition, on est proche du tout ou rien. Ou cette ambition se réalise ou elle échoue. Persuadés de détenir la vérité morale, s’ils gagnent, il ne s’agit pas de n’importe quelle victoire. C’est le bien qui l’emporte avec eux, et ils croient volontiers leurs succès définitifs et totaux.
À l’inverse ils perçoivent leurs échecs comme des signes d’une faillite fondamentale.
Il existe en dehors des États-Unis bien des pays qui rencontrent des problèmes d’unité ethnique ; qui sont divisés par des querelles sur la morale, la famille, les choix personnels de l’existence ; qui souffrent de la pauvreté extrême de leurs villes ou de leurs banlieues, de l’échec d’une partie de la jeunesse, de la violence, de la criminalité. Aucun d’eux n’est présenté comme ils l’ont été parfois, et même encore aujourd’hui, dans certains domaines, comme traversé par des failles irrémédiables. Cette présentation a dominé dans les dix dernières années beaucoup des témoignages à sensation parus en France sur les États-Unis, mettant en relief le contraste entre des conditions sociales extrêmes, la fragmentation de la société entre communautés ethniques rivales, les bizarreries des sectes, les excès des activistes de droite et de gauche, la persistance de la violence. Beaucoup d’Américains ont cru eux aussi que les changements de l’époque actuelle mettaient en cause les valeurs mêmes sur lesquelles leur pays est fondé. En même temps de plus en plus nombreux ont été ceux qui, oubliant ces traits négatifs, ont vu l’avenir de l’Amérique comme la miraculeuse réalisation du progrès perpétuel.
Cette oscillation entre le pessimisme et l’optimisme est typiquement américaine. Elle est produite par le règne de la mode, amplifié par la tendance à l’exagération. Aux États-Unis, tout est noir pendant quelques années, puis soudain l’esprit public vire du tout au tout et les perspectives deviennent favorables, jusqu’à ce que le balancier retourne à nouveau en direction du pessimisme.
Ce sont les Américains eux-mêmes qui ont pris le pli de présenter leur pays sous des traits d’où toute nuance est exclue. Cette simplification est contagieuse. Les autres pays perçoivent ces oscillations du pendule et les reprennent en les amplifiant. Une exagération s’ajoute à une autre. La presse peint tout cela, en bien ou en mal, aux couleurs de la sensation, de l’exceptionnel, du jamais vu.
*
Je viens d’écrire qu’aucun discours sur l’Amérique n’est neutre ; je peux ajouter que le discours français est le moins neutre de tous.
Des préjugés tenaces l’ont marqué presque constamment. Non que la France et les États-Unis se soient jamais trouvés dans des camps opposés. Plus que de l’hostilité, nous avons montré le plus souvent un dédain amusé envers un certain manque de subtilité et de l’agacement devant la conviction de supériorité morale et de bon droit si souvent affichée outre-Atlantique. En retour les Américains, sûrs en effet d’être les champions de justes causes, et croyant facilement que « ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour le monde libre », se montraient tour à tour incrédules, résignés ou franchement irrités devant le retour quasi programmé des piques provenant de leur plus ancien allié.
Ayant eu beaucoup affaire professionnellement aux États-Unis et aux rapports franco-américains, j’ai observé pendant quarante ans ces va-et-vient et je crois les avoir suivis sans complaisance, mais avec un esprit libre de préjugés.
À part les personnages des films, les premiers Américains que j’ai rencontrés dans ma vie étaient les militaires qui, avec les combattants de la division Leclerc, libérèrent Paris le 25 août 1944. J’avais alors quatorze ans. C’est donc au milieu d’un climat d’enthousiasme que s’est produit mon premier contact avec ce pays.
Dans les rapports franco-américains, qui sont rarement sans problèmes, ces premières années d’après-guerre représentaient un état de grâce. Les libérateurs étaient accueillis avec joie. Après quatre ans de propagande inspirée par les nazis, tout anti-américanisme ne pouvait être que mal venu.
Pour ma part, non seulement j’étais exempt de tout préjugé hostile, mais, en dehors du vif intérêt et de la profonde admiration pour l’Angleterre, qui était le sentiment commun de toute ma génération, ma soif d’éducation internationale était principalement centrée sur l’Amérique.
Lorsque j’entamai mon premier séjour à Washington en 1955, l’état de grâce avait déjà pris fin. La guerre froide en était la cause. Non que les Français aient été enclins à se ranger dans le camp soviétique. Le Plan Marshall et le Pacte atlantique avaient été acceptés. La coupure du monde installait l’Amérique dans un rôle de leader de coalition, qu’elle exerçait à sa manière, c’est-à-dire avec une conviction enracinée dans la certitude morale, une parfaite absence de sens des nuances et une perception plutôt limitée des particularités nationales.
En France cette prise en mains ne suscitait pas la révolte, mais pas mal d’agacement. Beaucoup de Français, tout en constatant la division du monde en deux camps, n’arrivaient pas à trouver normal qu’elle les amène à un choix global, s’étendant au-delà de l’alliance militaire jusqu’à une tutelle sur la politique, l’économie et la culture. Devant cette situation, ils avaient un peu la même réaction qu’à l’heure actuelle par rapport à la mondialisation : C’était un phénomène dont ils déploraient les effets tout en le sachant inévitable, et ils y répondaient par des résistances ponctuelles et une mauvaise humeur générale plutôt que par la recherche d’alternatives viables. Alors comme aujourd’hui, c’était une coalition un peu disparate où