Journal d’un camp sahraoui Le cri des pierres , livre ebook

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Publié par

Date de parution

01 janvier 2011

EAN13

9782811104498

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Jean-François Debargue
Journal d’un camp sahraoui Le cri des pierres
JOURNAL D’UN CAMP SAHRAOUI
KARTHALA sur internet : http://www.karthala.com
Couverture: page une : Camp d’El Ayoun, partie Est, daïra de Cheera ; page 4 : Camp de Smara, défilé du 27 février, vieux combattants sahraouis. Photo J.-F. Debargue
© Éditions KARTHALA, 2011 ISBN : 978-2-8111-0449-8
Jean-François Debargue
Journal d’un camp sahraoui
Le cri des pierres
Éditions KARTHALA 22-24, boulevard Arago 75013 Paris
El Aioun Playa
Tan Tan MAROC
Goulimine
Haousa
Chinguetti
Farsia
Aoussert
50
Fe Zouerate
Guelta Zemmour
MAURITANIE
SAHARA OCCIDENTAL Campements de réfugiés Frontières internationales Chemins de fer Routes Pistes Saline Murs de défense marocain Zone occupée par le Maroc Postes d'observation de l'ONU 0 50 100 150 kilomètres
Océan Atlantique
Boujdour
Santa Cruz Las Palmas
100
150 miles
Bir Lehlou
Cap Blanc
Arguin
Argoub
Nouadhibou
Dakhla (Villa Cisneros)
0
Angra de Cintra
Oum Drelga
Bir Enzaren
La Guëra
Bir Gandous
Cap Juby Tarfaya
Assa
El Aioun
Zaag
Tindouf
Msyek
Iles Canaries
Hagounia
Ph Bou Craa
Choum
Atar
Zoug
Ain Ben Tili
Tichla
Tifariti
Smara
Mahbes
ALGERIE
Bir Moghrein
Amgala
Préambule
J’ignorais. Quelques semaines avant de partir dans les camps de réfugiés sahraouis situés à la frontière sud-ouest de l’Algérie, près de Tindouf, j’ignorais que le Sahara Occidental n’était pas seulement une vaste et vague bande de désert répartie sur le sud du Maroc, de la Mauritanie et d’une partie de l’Algérie, mais que c’était le nom d’un pays. J’ignorais que ce pays était depuis 1884 une colonie espagnole, alors que je n’étais pas sans savoir que l’Algérie, la Mauritanie étaient des colonies françaises et que le Maroc et la Tunisie étaient des protectorats français, jusque dans les années 1960. J’ignorais que, depuis ces mêmes années 1960, l’ONU avait déclaré l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux et que le Sahara Occidental était inscrit sur la liste des territoires concernés depuis 1963. J’ignorais que de résolutions en résolutions réitérées et suite à l’intifada décrétée en 1973 par le mouvement indépendantiste « Front Polisario » (Front Populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro), l’Espagne feindrait, fin 1975, de vouloir accorder l’indépendance à ce pays ; comme j’ignorais qu’à la même époque la Mauritanie, par son Président Moktar Ould Daddah, trahirait la parole donnée au jeune secrétaire général du Polisario El Ouali de jumeler leurs deux pays au sein d’une même fédération. Le Président de la toute nouvelle république mauritanienne s’apprêtait à signer
6JOURNAL D’UN CAMP SAHRAOUI l’accord tripartite secret de Madrid (Espagne-Maroc-Mauritanie) qui partagerait le gâteau du Sahara Occidental. J’ignorais que la fameuse marche verte, présentée comme spontanée, était en fait organisée depuis plusieurs semaines, permettant à la fois de contester la réponse négative des Nations Unies et de la Cour Internationale de Justice qui déboutait la demande de souveraineté territoriale du roi du Maroc, de faire pression sur l’Espagne, affaiblie par un Franco agonisant et de faire l’unité marocaine, fragilisée à cette époque . J’ignorais pendant l’été caniculaire de 1976, alors que je gardais comme berger près de 800 brebis dans les Monts du Forez, que ceux que l’on présentait dans ma petite radio à piles comme les rebelles et guérilleros du Polisario, soutenus par Cuba, la Libye et l’Algérie, n’étaient pas cette menace rouge qu’on redoutait de voir s’installer en Afrique de l’Ouest en pleine guerre froide, mais un peuple pacifiste que j’allais rencon-trer trente ans plus tard, oublié derrière le mur de la honte. J’ignorais qu’en été 1979, la Mauritanie demanderait à signer la paix et qu’immédiatement le Maroc annexerait la totalité du Sahara Occidental.
J’ignorais que ce mur ou plutôt ces six murs successifs, de plus de 2500 km élevés de 1980 à 1987, précédés sur 500 mètres et sur toute sa longueur de millions de mines, abritaient 90% des moyens en effectif et en matériel de l’armée marocaine, soit près de 200 000 hommes contre 30 000 combattants sahraouis. En 1980, j’ignorais en lisant « Désert » de J.M.G. Le Clézio que ces derniers hommes libres, ces fils des nuages, les « Hommes bleus », étaient ces mêmes sahraouis qui se battraient pendant 16 années et négocieraient pendant 19 ans, par amour de cette liberté et de ce pays perdus. J’ignorais que ne serait tenu aucun compte des décisions des Nations Unies, de la Cour Internationale de la Haye, de l’Organisation de l’Unité Africaine et que l’attitude de l’Espagne, du Maroc, de la France et des États-Unis installerait pendant plus de trois décennies une république en exil dans l’un des lieux les plus inhospitaliers de la planète, la Hamada de Tindouf et une partie du peuple sahraoui resté au Sahara Occidental sous l’oppression du dernier pays colonisateur d’Afrique.
PRÉAMBULE7 J’ignorais les déclarations de Felipe Gonzales en novembre 1976 : « Nous sommes honteux non pas que le Gouvernement ait fait une mauvaise colonisation, mais une pire décolonisation », celle du Cardinal Duval la même année « Pour que soit respec-tée la liberté d’un peuple dont les souffrances sont un défi à la conscience mondiale », celle d’un ambassadeur et secrétaire général du quai d’Orsay « S’il est bien de secourir les détresses (...) il est mieux d’empêcher l’injustice avant de songer à en réparer les dégâts ». J’ignorais que les Sahraouis auraient à poursuivre si longtemps ces nuages belliqueux menaçants du conflit armé ou pacifiques désespérants de la négociation jusqu’à pouvoir bénéficier de cette pluie dont chacun d’entre nous pourrait être une goutte. J’ignorais qu’on pouvait cacher et oublier la détresse d’un peuple pendant si longtemps dans un monde surmédiatisé et que l’on pouvait apporter des réponses aussi inadaptées à sa demande.
Je sais à présent qu’il aura fallu que la vie me mène au désert pour y entendre le cri des pierres, afin d’être moins ignorant.
!
Dans ce monde où pas un fil ne doit dépasser, on finit par remarquer celui qui pend et qui invite à être tiré. C’est pourquoi j’ai voulu ce récit décousu.
1
L’arrivée
L’envie de dire est là, en profondeur. Les mots, pas encore. Les mots sont des plantes fragiles et éphémères dans lesquelles tente de s’exprimer l’essentiel. Il faut qu’il y parvienne, comme l’eau vers la surface. Le nom que les Sahraouis ont donné à l’un des quatre camps ou ils sont réfugiés depuis plus de trente années, El Aïoun, est le nom de la capitale de leur pays perdu. Ce nom signifie « les yeux » mais également « les sources ». Dans cet endroit du désert où même les nomades ne s’arrêtaient pas, l’eau est pourtant là, entre 3 et 10 mètres de profondeur. En cet endroit rebaptisé, j’ai senti la source en moi, dans mon désert. Je l’ai senti comme une évidence, comme une vie qui coule. Sans pouvoir l’expliquer, une forme d’appartenance, comme si quelque chose en moi avait à voir avec ce lieu. J’ai pensé aux larmes montées elles aussi du plus profond de nous, jusqu’aux yeux de mes enfants, de mes parents, de mes amis. Cette eau pour faire le deuil d’une vie et étancher l’espoir de la voir renaître. J’ai découvert là que l’exil est un compost de douleurs, dans lequel pousse l’espoir et quand il n’y a plus d’espoir, l’espérance. J’ai vu un désert que la présence des hommes rend un peu moins désert. Un peuple auquel l’exode donne un visage biblique. Traits fins, grands yeux noirs, le visage de nombreuses femmes ont des ovales de madone dans leur cadre de tissus. Les hommes ont des visages anguleux, aux
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