Éloge de l’inversion - Sexualités et rites de transgression au Maghreb , livre ebook

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C'est à partir des rites consacrés à Aïcha Hamdouchiya, figure mi-humaine, mi-esprit, que ce livre tente d’expliciter le rapport au corps, au genre et au pouvoir, par l’exploration des mythes et des rites de l’inversion sexuelle qui lui sont associés. Aïcha représente deux exceptions dans le contexte maghrébin : femme et noire, elle incarne une double figure de la marginalité, l’une sexuelle et l’autre de couleur. Elle constitue une figure mouvante, rendant fragiles les frontières qui séparent la norme de la déviance. Aïcha génère de multiples processus d’inversion, qui remettent en cause la généalogie du pouvoir des hommes saints, tout en introduisant de nouvelles variantes plus concrètes des mythes et des rites, plus ecaces aussi et plus dynamiques, qui donnent aux femmes et aux eéminés le pouvoir thérapeutique. Cette ethnographie cherche à explorer la question de l’altérité et de la place des rituels d’inversion dans la dynamique de changement et de résistance des rôles sociaux. Il s’agit de questionner les dichotomies épistémologiques dominées par le déterminisme et le symbolisme qui structurent encore l’anthropologie maghrébine. Le culte de la marge lié à Aicha se révèle en tant qu’espace alternatif de résistance aux normes politiques, religieuses et sociales dominantes. Par leurs pratiques, les acteurs de la marge rendent vulnérable l’ordre dominant et en construisent les lignes de fuite.
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Date de parution

01 janvier 2022

Nombre de lectures

13

EAN13

9789920753739

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

2 Mo

Ouvrage publié avec le soutien du Ministère de la Jeunesse,
de la Culture et de la Communication
ISBN : 978-9920-753-73-9
Dépôt légal : 2022MO2492
© Éditions la Croisée des Chemins
16, Rue Mouaffak Eddine, Imm. A, Rés. Dbibagh
Quartier des Hôpitaux – Casablanca
info@lacroiseedeschemins.ma
www.lacroiseedeschemins.maKHALID MOUNA
Éloge de
l’inversion
Sexualités et rites de
transgression au Maghreb
ESSAIÀ mon père Omar Ben Mohamed Mouna.
À Tarek et Aure.AVANT-PROPOS
epuis 2010, l’année de mon recrutement à l’université
D Moulay Ismail en qualité d’enseignant chercheur, j’ai
opté pour la diversifcation de mes objets de recherche. Entre
l’étude du cannabis dans le Rif, la mobilité migratoire et la
question du corps, un fl conducteur s’est dessiné à mesure de
mon avancement dans mes travaux de recherche : celui de la
marge. Ainsi, deux interrogations traversent en permanence ma
réfexion : la première, liée à la place qu’occupe le genre dans
mes recherches, et la seconde, comment traiter mes données
sur le plan théorique.
Le regard normatif porté sur les rapports sociaux perçoit
le genre comme obéissant uniquement à une tradition, à
partir des rapports prédéterminés par un ordre fonctionnel
et structurel. Cette normativité résiste dans l’enseignement
des sciences sociales au Maghreb. En 2011, j’ai dispensé aux
étudiants de sociologie un cours intitulé Textes et questions
sociologiques. Comme épreuve, j’ai proposé un extrait du
livre de Pierre Bourdieu, La Domination masculine , et je
fus touché par les réponses de mes étudiants, dont la plus
improbable fut celle d’une étudiante qui a écrit : « Les hommes
dominent car ils produisent des milliers de spermatozoïdes 8 — Éloge de l’inversion. Sexualités et rites de transgression au Maghreb
et les femmes sont dominées car elles n’ovulent une seule fois
par mois ». Un autre étudiant a écrit : « Il n’y a ni Bourdieu ni
sociologie, les rapports entre l’homme et la femme doivent
être régis par le texte coranique ». Que ce soit d’ordre naturel
ou religieux, la normativité fonctionne comme un mécanisme
de défense contre toute tentative de questionnement de
ces ordres. Les résistances sont tellement enracinées, que
j’ai préféré laisser de côté les questions de genre dans mon
enseignement, ne serait-ce que temporairement, pour aller
les étudier à travers le rituel des inversions.
Ce livre se positionne comme un regard contre-normatif
des rapports de genre, notamment ceux liés à la sexualité. Il
propose également une lecture proche du réel à partir d’un
regard ethnographique. Il s’agit de traiter l’inversion en tant
qu’action permettant de penser les acteurs comme capables,
dans une large mesure, d’inventer leurs propres points de
vue. Des acteurs qui ont leur propre monde métaphysique à
travers lequel ils redéfnissent les frontières de leur centralité
et de leur marginalité, des acteurs qui composent la matrice
de sens à partir de leurs expériences.
Il est évident que la production du savoir anthropologique
découle, en principe, de la reconnaissance de la capacité
de l’acteur à produire du sens, et d’un savoir qui n’est pas
abstrait, voire séparé de la réalité sociale, mais plutôt d’une
transformation continue du dynamisme que connaît chaque
société. L’anthropologie a élargi son champ d’observation,
elle s’attache à reconsidérer ses concepts et ses méthodes
pour mieux appréhender les complexités de notre monde Avant-propos — 9
contemporain. Elle est, de ce fait, engagée dans une prise de
conscience et une rigueur de connaissance.
Ce livre s’inscrit dans l’analyse du détail cher à
l’anthropologie, et dans la capacité de cette discipline à faire
émerger, sur la base de l’empirique, une nouvelle perspective
de la marge et de la centralité, non comme des composantes
dualistes, mais plutôt dans une dynamique d’inversion, à
partir de laquelle la marge devient centre, et le centre devient
marge. Je me présente dans ce travail comme un médiateur
de cette connaissance d’inversion. Et c’est à partir de cette
perspective, que la clé de lecture de ce livre se dévoile.
Ce travail est l’aboutissement d’une réfexion autour des
rapports complexes liés au corps, la sexualité et les formes
de transgression qui lui sont associés, et qui traversent notre
société. La réfexion que je développe ici est le fruit d’un
travail de terrain qui a commencé en 2014, et d’une écriture
qui a débuté en 2017, sans qu’elle soit achevée. Mon séjour,
entre 2020 et 2021, à l’Institut des Études Avancées, à Nantes,
en tant que chercheur résidant, ainsi que les échanges que j’ai
eus avec des amis de ma promotion, ont été un déclencheur
pour terminer un travail qui m’a longtemps habité. Des amis
m’ayant suggéré des lectures, m’ont proposé des pistes de
réfexion. Je tiens ainsi à les remercier, notamment Udaya
Kumar, Olga Dror, John R Lear, Nashieli Cecilia Rangel
Loera, et Nicolas Chaignot. Je remercie également David
Le Breton pour sa lecture avisée de mon texte. Ce travail
doit aussi beaucoup à Aure Veyssière-Mouna, qui m’a invité
trois fois à présenter cette recherche devant ses étudiants, 10 — Éloge de l’inversion. Sexualités et rites de transgression au Maghreb
ce qui m’a permis à chaque fois d’ouvrir une nouvelle piste
de réfexion. Je remercie mon frère, Omar Mouna, un soldat
invisible qui ne cesse de relire et de proposer des corrections
à chacun de mes travaux en français, mais aussi mon amie
Asma Arfaoui-Harrami, pour sa lecture de mon manuscrit.
Je remercie également Réda Allali, de Radio Maarif, qui m’a
permis d’évoquer Aicha et ses pouvoirs, un échange qui a
rencontré un large succès auprès des auditeurs, et qui s’est
avéré être une source de motivation pour achever ce travail.
Un grand merci, bien sûr, à mon ami Abdelkader Retnani
des Éditions La Croisée des Chemins lequel a cru en mon
travail, et m’a fait le plaisir de l’éditer, ainsi qu’à Loubna
Serraj. Enfn, ma gratitude va à Zakia Kchikach et Soufane
Lachhab, qui ont été une ressource infatigable sur le terrain.
Mes remerciements à mes amis de l’université de Fredirico II
de Naples, Fabio Corbisiero et Paolo Valerio. Enfn, merci
à Nico Staiti, qui a été à l’origine de ce projet. INTRODUCTION
es phénomènes d’inversion s’observent dans la plupart
L des sociétés, là où la séparation entre genres se fragilise,
voire disparaît pour un moment. Comment et pourquoi ?
C’est à ces deux interrogations que ce livre tente de répondre.
Lors des fêtes religieuses, comme c’est le cas pour la fête de
la naissance du Prophète par exemple, on assiste à ce type de
pratiques impliquant, musique, transe et déguisement. Plusieurs
sociologues marocains, sollicités par des médias, décryptent le
phénomène à la hâte, et, par conséquent, en donnent une analyse
marquée par la simplifcation. Il s’agit pour eux de la survivance
de pratiques préislamiques, d’archaïsme, voire de résistance de
l’ignorance. Et si les choses n’étaient pas aussi simples ? Et si
la thèse de la survivance, présentée par les écrits coloniaux, et
reprise par un grand nombre de sociologues locaux, n’était que
l’arbre qui cache la forêt? Que, par ethnocentrisme européen
et par un certain conformisme à ladite thèse, par les chercheurs
maghrébins, on simplifait ces pratiques au lieu de tenter de
les comprendre ? Parmi ces phénomènes, intéressons-nous au
culte d’Aicha ; un culte de la marge, qui libère les corps et leur
donne une légitimité tout en les rendant serviles à sa cause.
Westermarck (1936) voyait dans le culte d’Aicha une survivance 12 — Éloge de l’inversion. Sexualités et rites de transgression au Maghreb
préislamique de l’époque pré-phénicienne, qu’il rattachait à
la prostitution sacrée du temps de Carthage. Mais l’Aicha qui
nous intéresse possède la sexualité et le corps des efféminés
qui, en contrepartie, voient en elle une mère protectrice.
Elle est essentiellement liée à des voyantes/chowafat et à
des efféminés, qui s’inscrivent tous deux dans des pratiques
divinatoires. La fgure de l’efféminé n’est pas étrangère à
la société arabe, préislamique, ou à l’aube de l’islam. Les
efféminés ou moukhanathoun « étaient autorisés à fréquenter
librement les femmes, en partant du principe qu’ils n’avaient
pas d’intérêt sexuel pour elles, et jouaient souvent le rôle
d’empêcheurs de mariage ou, de façon moins légitime,
de médiateurs. Ils ont également joué un rôle important
dans le développement de la musique arabe à la Mecque et,
surtout, à Médine, où ils comptaient parmi les chanteurs
et les instrumentistes les plus célèbres » (Rowson, 1991 :
671). Pourtant, les hadiths concernant les moukhanathin
qui apparaissent dans le Muwatta’ de Malik Ibn Anas
1(d.179/797) et hadith , montrent que ce dernier maudit
les hommes qui se comportent comme des femmes, ainsi
que les femmes qui cherchent à ressembler aux hommes,
autrement dit, ceux et celles qui ont un comportement
transgenre, et qui tentent d’inverser ce qui est « naturel ».
Selon Everett Rowson, à l’époque Umayyade, le tambour
était considéré comme un instrument de musique féminin,
et les hommes autorisés à en jouer ne pouvaient être que
des efféminés. Des chanteurs et des joueurs de tambourin,
1. Il s’agit d’une communication orale du Prophète de l’islam.Introduction — 13
efféminés ou émasculés, ont été également constatés en Irak,
en particulier à Bagdad, pendant la période abbasside des
e e8 et 9 siècles (Rowson, 1991).
Dans le contexte marocain, Léon l’Africain note à Fès,
la présence de pleureurs professionnels vêtus de vêtements
eféminins au début du 16 siècle. Lors du protectorat au Maroc
(1912-1956) : « À Fès, le joueur, le chanteur et le danseur
les plus connus dans la période suivant la Seconde Guerre
mondiale étaient les Juifs, et les praticiens actuels notent que
la majorité des joueurs efféminés étaient traditionnellement
juifs eux aussi » (Staiti, 2016 : 55). Les efféminés de Fès géraient
des auberges

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