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Charles Bénard
L’Esthétique allemande contemporaine
Revue philosophique de la France et de l’étranger
1re année, tome 1, 1876, pp. 125-160
L’Esthétique allemande contemporaine
L’ESTHÉTIQUE ALLEMANDE
CONTEMPORAINE
――――
L’Esthétique allemande depuis Hegel. — I. L’idéalisme hégélien : Chr. Weisse ; Arnold Ruge ; Karl Rosenkranz. Th. Vischer. — II. Le
Réalisme : 1° Herbart et ses disciples : Griepenkerl, Bobrik. Robert Zimmermann, Zeising, etc. 2° Schopenhauer et ses successeurs.
V. Hartmann. J. Frauenttädt. 3° Le Positivisme : V. Kirchmann. — III. L’Esthétique populaire et éclectique : F. Thierch. H. Ritter. Moritz
Carrière, etc. — IV. Les historiens de l’Esthétique : Ed. Muller. R. Lotze. H. Zimmermann. — Max. Schasler. — V. Conclusion.
On a dit de l’esthétique que c’était « une science allemande. » Cela est, sans doute, exagéré. Ce qui est vrai c’est que nulle part cette
science n’a été cultivée en elle-même et pour elle-même avec autant de suite, de zèle et de persévérance que dans cette terre
classique de la spéculation, qui a vu éclore tant de théories et où ont été agités sous toutes leurs faces les plus hauts problèmes de la
pensée humaine. Elle est devenue une des branches les plus considérables de la philosophie allemande. Depuis qu’elle a été
proclamée par Baumgarten une science distincte et indépendante, elle a été constamment l’objet de patientes et profondes
recherches. Elle occupe une place importante dans tous les grands systèmes. Tous les vrais penseurs qui se sont succédé depuis
Kant ont donné une attention toute particulière à cette partie intéressante du savoir humain et tenté de résoudre les délicats
problèmes qu’elle renferme. Depuis que s’est ralenti le mouvement de la spéculation, les esprits les plus distingués n’ont pas cessé
de s’en occuper. Parmi les sciences philosophiques, s’il en est une qui ait échappé au discrédit où sont tombés les systèmes, c’est
précisément celle qui a pour objet le beau et l’art, qui en étudie les principes et les lois, qui cherche à comprendre les œuvres de
l’imagination dans leur origine et leur ensemble. Aussi, a-t-elle continué à être enseignée dans les universités où elle a toujours eu
des chaires et des cours particuliers ; des travaux dignes d’attention, des ouvrages sérieux et du plus haut intérêt ont été exécutés et
publiés en dehors de l’enceinte des écoles ; les uns traitent des points particuliers, les autres embrassent la science entière. D’autres
nous font connaître son histoire ; ils montrent le parti qu’on peut tirer des solutions antérieures données à tous ces problèmes par les
esprits supérieurs qui les ont agités.
Il n’est pas, pour nous, sans intérêt ni sans utilité de connaître ces travaux. Chez nous, il faut l’avouer, cette science a été négligée.
Nous ne possédons que fort peu d’ouvrages sérieux où ces problèmes aient été abordés directement et pour eux-mêmes, dans un
intérêt vraiment scientifique et philosophique. Nous croyons l’avoir démontré ailleurs ; ce n’est presque toujours qu’en passant et
accidentellement qu’ils ont été traités et le plus souvent pour un but étranger à la science elle-même, moral, social, politique ou
religieux. Le moment est venu, à notre avis, de les étudier nous-mêmes sérieusement, comme ils le méritent, avec les qualités
propres de notre esprit ; et certes, en pareille matière, ces qualités ne sont pas à dédaigner. Elles peuvent contribuer à faire avancer
cette science aussi bien qu’à en propager les résultats ; elles sont très-propres à la corriger des défauts qu’il est facile de reconnaître
dans les productions les plus élevées et les œuvres les plus savantes de la pensée allemande. Mais la condition première, quand on
entreprend soi-même une pareille étude, c’est de se mettre au niveau de la science au point où elle est parvenue ; sans’cela, on
s’expose à refaire, et souvent plus mal, ce qui a été fait, et, au lieu de marcher en avant, à rester en arrière. En tout cas, on se prive
des services les plus précieux que nous offre l’héritage des plus grands esprits. Pour continuer avec succès leurs efforts dans la voie
qu’ils ont parcourue, y a-t-il un autre moyen que de se placer au point même où ils se sont arrêtés ? Le talent le plus original,
l’intelligence la plus puissante ne peuvent se mettre au-dessus de cette condition. Pour la médiocrité, le danger est plus grand
encore. C’est non-seulement d’accuser son infériorité par des redites banales ou des essais sans portée, mais lorsqu’elle paraît
sortir des vieilles ornières, d’ajouter le ridicule de se croire original quand on ne fait guère que copier et imiter à son insu les théories
les plus récentes.
Pénétré dès longtemps de ces idées, nous avons voulu, pour notre part et selon nos moyens, contribuer à rendre ce service à nos
compatriotes de leur faire connaître quelques-uns des travaux les plus importants que possède l’Allemagne sur l’esthétique et la
philosophie
_______________________________
1. Dans un article publié par la Revue politique et littéraire (13 mars 1875) sous ce litre : l’Esthétique dans la philosophie française.
de l'art. Notre choix s'est fixé d'abord sur les écrits des deux philo- sophes qui, au jugement des esprits les plus éclairés, ont donné
de l'art et de la science dont il est l'objet, l'idée la plus haute et la plus vraie, idée aujourd'hui généralement acceptée *.
Nous voudrions aujourd'hui reprendre cette tâche. Et, d'abord, comme préambule à des études plus spéciales nous nous proposons
de jeter un coup d'œil sur Tensemble des oeuvres les plus dignes d'at- tention qui ont paru en Allemagne depuis Hegel sur cette
branche de la philosophie. Nous ne pouvons, dans cet article, que marquer le caractère général et la suite de ces travaux, nous
réservant ensuite de les étudier chacun en particulier d'une façon plus approfondie et plus en détail. Notre but aujourd'hui est surtout
de faire saisir le mouvement qu'a suivi cette science depuis l'apparition du dernier grand système qui a influé sur elle et lui a donné
une direction nou- velle comme à toutes les formes principales de la pensée humaine. Nous essaierons aussi de marquer sa
situation présente et les condi- tions pour elle d'un développement ultérieur. C'est ce qu'on ne peut faire qu'en constatant ses derniers
résultats et en indiquant ses ten- dances nouvelles , en signalant ses besoins et ses lacunes sentis par les esprits sérieux les plus
distingués, qui aujourd'hui s'occupent de cette science et s'efforcent de la perfectionner.
I
C'est à l'école hégélienne que nous devons d'abord nous adresser. Elle a suivi, dans cette direction, avec ardeur et non sans succès,
l'impulsion féconde qui lui avait été donnée. C'est dans son sein ou à côté d'elle, sous une inspiration commune, qu'ont été exécutées
les œuvres les plus nombreuses et les plus importantes. Il faut bien le reconnaître, — et c'est ce qui prouve la vitalité de ce système,
— ce n'est pas du tout servilement que cette science a été cultivée par les disciples ou les continuateurs de Hegel. Sauf les écrits
destinés à po- pulariser les résultats généraux et dont nous aurons aussi plus tard à parler, les ouvrages marquants de cette école,
soit sur l'ensejuble
1 . Schelling, Ecrits philosophiques. Leçons sur la méthode des Etudes aca- démiques; Discours sur les arts du dessin. — Dante
sous le raj)port philo- sophique, etc. 1 vol. in-8. — Hegel, Cours cV Esthétique, 2« édition, 2 vol. in-8. Germer- Baillière, 1875.
2. Dans notre introduction à la 2" édition de l'Esthétique de Hegel, 1875, nous avons indiqué la suite et les progrès de cette science*
depuis Baumgarten jusqu'à Hegel. Voyez aussi notre Bibliographie de l'Esthétique allemande, à la suite de cette introduction.
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de la science, soit sur des points particuliers, accusent chez les auteurs beaucoup d’indépendance et une véritable originalité. Tout
en adoptant le principe e