Sur l'histoireBernard Le Bouyer de Fontenelle-Tout le monde convient de l’utilité de l’histoire; mais, ce qui est assez surprenant,elle n’est guères utile de la manière dont presque tout le monde entend qu’elle l’est,et elle peut l’être assez d’une certaine autre manière que bien peu de gensconnoissent. Comme ce que je pense là-dessus est d’une discussion un peudifficile, je demande la permission de prendre la chose d’assez loin, et de fairel’histoire de l’histoire même.Naturellement les pères content à leurs enfans ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont vus; etsans doute cela s’est pratiqué dans les premiers siècles du monde. Ces récitsdoivent porter le caractère de ce temps-là. Comme l’ignorance y étoit parfaite, laplupart des choses étoient des prodiges. Ainsi un père ne manquoit pas d’enremplir les contes qu’il faisoit à ses enfans.Quand on dit quelque chose de surprenant, l’imagination s’échauffe sur son objet,l’agrandit encore, et est même portée à y ajouter ce qui manqueroit pour le rendretout-à-fait merveilleux, comme si elle avoit regret de laisser une belle choseimparfaite. De plus, on est frappé des sentimens de surprise et d’admiration quel’on cause à ses auditeurs, et on est bienaise de les argumenter encore, parce qu’ilsemble qu’il en revient je ne sais quoi à notre vanité. Ces deux raisons jointesensemble font que tel homme qui n’a pas envie de mentir, en commençant un récitun peu extraordinaire, pourra se surprendre lui-même en mensonge ...
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