Jean MoréasEsquisses et SouvenirseSociété du Mercure de France, 1908 (2 éd.) (pp. 111-115).NIETZSCHE ET LA POÉSIELorsque Gœthe parle poésie, il inspire tout de suite confiance, comme un praticienéprouvé qui explique les secrets de son art. Pouvons-nous être à notre aise de lamême manière avec Nietzsche ! A-t-il senti, a-t-il goûté tout d’abord ? Ah ! si cen’était qu’un jeu de passe-passe, une attrape ! Vous connaissez ces habilescritiques qui cherchent des exemples pour étayer leurs théories bâties d’avance, etqui les trouvent. Mais Nietzsche se passionne réellement, il est substantiel et posé ;en un mot, il a un bon air d’empirique. Oui vraiment, accordons-lui notre confiance.Dans Humain trop humain, il fait un magnifique éloge du théâtre classiquefrançais, il remet Lessing à sa place, il rend à Voltaire la justice qui lui est due, ilprend en pitié notre moderne barbarie et ses vaines expériences. Enfin il trace uneéclatante image de la maturité de Gœthe, et il nous le montre repentant d’avoirtravaillé avec les destructeurs, tout occupé à renouer la tradition rompue et tendantses lèvres avides à la perfection et à l’intégrité antiques.Il est agréable d’entendre Nietzsche disserter sur l’admirable architecture de laTragédie française. Certes, il ne faut pas dédaigner la couleur et la vivacité dudrame espagnol ; il faut toujours adorer Shakespeare, qui est la poésie même.Celui, cependant, qui ne sait pas discerner que Corneille, malgré ses lacunes, ...
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