Bibliothèque de l'école des chartes - Année 1989 - Volume 147 - Numéro 1 - Pages 203-230Michel Pastoureau, L'Église et la couleur, des origines à la Réforme. — Bibliothèque de l'École des chartes, t. 147, 1989, p. 203-230.
Pour la pensée médiévale la couleur se définit soit comme une matière, véritable enveloppe opaque habillant les corps (le mot color est alors rattaché à la famille du verbe celare), soit comme une lumière (color est dans ce cas présenté comme un dérivé de calor). Si la couleur est matière, donc artifice et luxe, il faut la chasser du culte et du temple chrétiens. Si au contraire elle est lumière, elle participe du divin et il faut l'étendre partout pour dissiper les ténèbres. Jusqu'au XIIe siècle, à des théologiens ou des prélats chromophobes (saint Bernard), s'opposent ainsi des prélats ou des théologiens chromophiles (Suger).
Par la suite, l'Église, peut-être sous l'influence de l'héraldique naissante, se crée ses propres codes et systèmes de la couleur (liturgie, marques hiérarchiques des dignités ecclésiastiques, vêtements des nouveaux ordres monastiques et religieux). A des morales construites sur la densité ou sur la saturation des couleurs, elle tend désormais à substituer des morales et des codes construits sur leur coloration. Certaines couleurs (le rouge, le vert) et certaines associations de couleurs sont réservées à des usages bien précis ; d'autres (le jaune, le bariolé) sont condamnées et jugées indignes non seulement des clercs mais de tout honnête chrétien.
Ces morales de la couleur, qui favorisent l'immense vogue du noir, traversent tout le Moyen Age finissant, sont reprises par la Réforme protestante, relayées par la « culture en noir et blanc » née du livre et de l'image imprimés, et imprègnent profondément tous les systèmes de la couleur de l'époque moderne.
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
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