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École doctorale Perspectives interculturelles :
écrits, médias, espaces, sociétés
ÉCRIRE L’HISTOIRE DES ÉVÊQUES DE
METZ AU MOYEN ÂGE :
LES GESTA EPISCOPORUM MESSINS DE
e e
LA FIN DU VIII SIECLE A LA FIN DU XIV
SIECLE
Thèse de l’université Paul Verlaine – Metz
soutenue par Arnaud HARI
sous la direction de Mireille Chazan, professeur d’histoire médiévale
Centre Régional Universitaire Lorrain d’Histoire
Année universitaire 2009-2010
I
« Touttes flours sormonte la rose :
Chescuns sceit bien c’est veriteit ;
Pour ceu vous ai dit ceste chose
Qu’ensi fait Mets toutes citeis… »
La Guerre de Mets, éd. E de Bouteiller, Paris, 1875.
2
INTRODUCTION
e 1
En plein XVII siècle, lorsqu’est publiée son Histoire des évêques de Metz , le
suffragant du diocèse, Martin Meurisse, entend prouver que l’Eglise de cette ville est
recommandable pour cinq raisons :
« pour son antiquité, pour la succession non interrompue de ses pasteurs, pour leur sainteté,
pour la splendeur de leur sang et la grandeur de leur naissance, pour avoir été toujours très
2
constamment orthodoxes parmi les schismes et les divisions des autres églises circonvoisines. »
Pour réaliser ce vaste programme, Martin Meurisse a choisi de présenter son ouvrage
sous la forme de notices consacrées aux pontifes messins, classées chronologiquement depuis
Clément, le fondateur du siège jusqu’à Henri de Bourbon-Verneuil, demi-frère de Louis XIII
3et titulaire de la dignité épiscopale au moment de la rédaction . Le suffragant messin est certes
féru d’histoire mais d’autres considérations l’ont poussées à entreprendre la rédaction d’une
telle œuvre. L’histoire des évêques de Metz est en effet dans les années 1630 un sujet brûlant
qui oppose les partisans de l’intégration définitive de Metz à la France et les défenseurs des
4libertés communales . Louis XIII, à la suite d’un séjour à Metz à la fin de l’année 1631 décide
l’installation d’un parlement, geste fort dont la signification n’échappa pas aux
contemporains : Metz, ville d’Empire, qui vivait depuis 1552 sous la protection des rois de
France, allait devenir une cité du royaume soumise à la haute justice du roi. Quelques gestes
importants accompagnèrent cette mesure et suivirent l’entrée des nouveaux parlementaires
dans la ville lors de l’été 1634. Les plus spectaculaires furent assurément la suppression du
1
Martin Meurisse, Histoire des évêques de Metz, 1634, Metz, 2 vol.
2 Ibidem., t.I, p.24.
3 Henri III de Bourbon-Verneuil, évêque de Metz de 1612 à 1652, était le fils illégitime d’Henri IV et de
Henriette d’Entraigues.
4
Gaston Zeller, le rattachement de Metz à la France, 1926, Paris, t.2, p.280-283 ; A. Hari, «Reprise et
continuations modernes des Gesta episcoporum médiévaux à Metz », dans Sot, M., et Bougard, F., Liber, Gesta,
e
Histoire. Ecrire l’histoire des évêques et des papes de l’Antiquité au XXI siècle,2009, Turnhout, p.347-365 ; le
pasteur Paul Ferry a tenté de réfuter les arguments de Martin Meurisse, voir Julien Léonard, « Paul Ferry,
historien engagé du Moyen Âge messin », dans Mireille Chazan et Gérard Nauroy (dir.), Ecrire l’histoire à Metz
au Moyen Âge, à paraitre.
3
sceau de la cité qui portait l’aigle impérial et l’occupation (provisoire) du palais des Treize, où
siégeaient les principaux magistrats de la cité. Tous les habitants de la ville n’étaient
cependant pas mécontents de cette intégration au royaume et Martin Meurisse fut un des fers-
de-lance du parti français.
Le suffragant messin, pour défendre ses convictions, décida de mettre sa plume au
service du roi de France en présentant sa propre vision du passé de la lignée épiscopale
messine. Pour donner forme à des préoccupations politiques très enracinées dans son époque,
eil choisit de se conformer, en plein XVII siècle, aux caractéristiques d’un genre littéraire
1
médiéval, les gesta episcoporum .
Les gesta episcoporum
Comme le montre cet exemple, ce genre historiographique a connu un grand succès à
Metz durant le Moyen Âge et une partie de l’époque moderne. Il s’inspire d’un prestigieux
emodèle, le Liber Pontificalis, dont la première version remonte au VI siècle, et qui présente
l’histoire de la papauté sous la forme d’une suite de notices consacrées aux souverains
2pontifes depuis saint Pierre . « Dans ces écrits que l’on nomme « gestes épiscopales », relatant
les hauts faits des évêques qui se succédèrent à la tête d’un diocèse, la suite des prélats est
décrite, selon Georges Duby, comme une lignée charnelle, et la mater ecclesia, l’église
cathédrale, comme véritablement mère, sorte de ventre fécond engendrant l’un après l’autre,
3les détenteurs du pouvoir spirituel » .
e
La première rédaction du Liber Pontificalis remonte au début du VI siècle et
e
l’ouvrage connut des continuations jusqu’à la fin du IX siècle. Il n’est pas question de
retracer ici les péripéties qui sont à l’origine de la composition de cette œuvre, en pleine
1
Ce genre littéraire a été étudié de façon synthétique par Michel Sot, Gesta abbatum, gesta episcoporum, coll.
Typologie des sources du Moyen Age, Turnhout, 1981 ; R. Kaiser, «Die Gesta episcoporum als Genus der
Geschichtsschreibung », dans Scharer, A., Historiographie im frühen Mittelalter, Oldenburg, Vienne, Munich,
1994, p. 459-480 ; Dirk Schlochtermeyer, Bistumschroniken des Hochmittelalters. Die politische
Instrumentalisierung von Geschichtsschreibung, Paderborn, 1998.
2
Sur le Liber Pontificalis, voir les travaux toujours fondamentaux de Louis Duchesne, Etude sur le Liber
Pontificalis, Paris, 1877; voir également l’article de F. Monfrin, « Liber Pontificalis », dans le Dictionnaire
historique de la Papauté, sous la direction de P. Levillain, Paris, 1994 ; voir les actes du colloque M. Sot et F.
eBougard, (dir.), Liber, Gesta, Histoire. Ecrire l’histoire des évêques et des papes de l’Antiquité au XXI siècle,
2009, Turnhout.
3
G. Duby, Le Moyen Age, 987-1460, p.12, Paris, 1987.
4
1période de domination ostrogothique sur Rome et l’Italie . Il faut cependant s’arrêter quelques
instants sur la structure interne de ce livre qui a servi de modèle au rédacteur de gesta
episcoporum. Le Liber Pontificalis se présente comme une suite de notices classées dans
l’ordre chronologique ; chaque pape depuis saint Pierre a droit à une notice, qui fournit
généralement le même type d’informations : le nom et le rang du pontife, son lieu de
naissance et son ascendance, la durée de son règne, les décrets qu’il a pris, les constructions
mises en chantier, les ordinations qu’il a célébrées, et enfin sa date de décès ainsi que le lieu
2où repose son corps .
Cette trame ainsi définie appelle plusieurs remarques. Premièrement, l’histoire de
Rome et dans une certaine mesure celle de la Chrétienté s’identifient complètement à la lignée
des papes. Les auteurs de gesta episcoporum n’ont pas eu de mal à transposer ce schéma dans
le cadre de leur cité au moyen de quelques adaptations. L’évêque est représenté comme le
père de la communauté chrétienne, son protecteur et son intercesseur auprès des puissances
célestes. Michel Sot a attiré l’attention sur le vocabulaire utilisé par les rédacteurs de gesta
3pour désigner leurs pontifes, qui renvoie souvent au champ lexical de la famille . D’autre part,
ces auteurs insistent plus sur la sainteté de la lignée épiscopale, qui se doit d’être
ininterrompue et orthodoxe, que sur un prélat en particulier. Même les mauvais évêques ont
leur place dans les gesta, dans la mesure où ils constituent des preuves a contrario de la
sainteté de la lignée. De plus, la recension des lieux autour desquels s’enracine la mémoire
des évêques aboutit à la présentation d’une véritable géographie du sacré à l’intérieur de la
4cité . Pour résumer, les gesta episcoporum ne s