Noël a passé, puis le jour de l'An et enfin la Saint-Valentin. Les spots publicitaires, les messages radio, la voisine de palier nous souhaitaient à cette occasion de passer un joyeux Noël en "famille", un jour de l'an arrosé entre "amis", et puis un agréable week-end en "amoureux". Et nous nous disions ; "Faites que je ne sois pas seule !" Etait-ce simplement pour ne pas déroger à la règle ? Ou était-ce parce que tout d'un coup, nous avions du mal à nous faire à l'idée que nous pourrions être seules ? Pourquoi ai-je tant besoin d'un parent, d'un ami, d'un compagnon ? Pourquoi, comme ce SDF que je croise chaque matin dans le métro, j'ai moi aussi besoin d'un sourire, d'un regard bien plus que d'une pièce de monnaie ou d'un ticket restaurant ? Etre reconnu Tout simplement parce qu'à travers les autres, je me sens exister. De l'amour, à la reconnaissance, à l'affirmation, en passant par la capacité à faire un choix, à la liberté, à la créativité, tout ce que je suis en tant qu'être humain, tout ce que je puis, sentir ou faire, je le dois à l'autre. Sans lui, nous ne serions jamais pleinement conscients de nous-même. Nous serions comme ces enfants sauvages qui face au miroir ne se reconnaissent pas. Un homme à qui personne ne ferait appel manquerait à coup sûr de l'essentiel. C'est là toute l'histoire de Robinson Crusoé - conte sublime de la solitude. Privé des autres, celui-ci sent peu à peu qu'il perd de son identité, de ses possibilités, de son intégrité physique et morale, jusqu'à l'arrivée salutaire de Vendredi, ô combien bénéfique, qui lui permet de redonner du sens à sa vie. Comme lui, enfant, adolescent ou adulte, nous attendons que quelqu'un - père, mère, ami, enfant, patron - daigne poser un regard bienveillant sur nous. Chacun de nous a besoin de rencontrer quelqu'un, de lui parler en toute confiance, de lui confier sa lassitude, ses ressentis, ses aspirations, ses doutes, d'être reconnu par lui et écouté, compris, accueilli et supporté, sans jugement ni récrimination. Vu et approuvé. Ce sont autant de besoins qui font du regard de l'autre une étape indispensable, si ce n'est vitale, dans la construction de notre propre existence. Et quel bonheur paradoxal que ce coup de téléphone qui vous fait lever au milieu de la nuit : "Accours ! J'ai besoin de toi".
Besoin démesuré de plaire Mais voilà, si dès le début de notre existence, nous éprouvons le besoin d'être reconnus, d'être aimés, valorisés par nos parents et les personnes significatives de notre entourage, si nous attendons le sourire radieux, le regard ébloui, le son de la voix de maman ou de papa nous confirmer que nous sommes importants, précieux, chéris... Cela ne se passe toujours comme nous le désirons. Et pour peu que nous ayons des professeurs, des patrons ou un entourage peu gratifiants, nous devenons des affamés, avides de combler tous ces manques premiers. Cela se traduit souvent, comme le souligne le psychosociologue Jacques Salomé, par une quête sans fin, une quête dans laquelle « nous nous mettons à attendre des manifestations de reconnaissance de la part de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas nous en donner. Et le cercle est d'autant plus vicieux que même si nous recevons des marques d'attention et d'amour d'autres personnes, celles-ci nous paraissent sans valeur car elles ne viennent pas de ceux qui devraient, dans notre esprit, nous les donner ». Triste constat. Et pourtant les autres ne peuvent pas toujours nous donner ces marques d'attention ou d'amour que nous attendons comme un passe pour commencer à se construire. Et cela pour des raisons complexes, et notamment parce que les sentiments ne se commandent pas. De fait, si bien souvent nous sommes incapables de prendre soins nousmême de nos besoins - y compris celui d'être reconnu et aimé - nous nous installons dans une dépendance quasi obsessionnelle de l'autre : du sentiment d'être regardé, quasiment épié à longueur de journée, d'être jugé, au sentiment de devoir absolument être parfait, à la peur de blesser, de déplaire, d'être rejeté, à la volonté de prouver qu'on est génial, indispensable, aimable, paré de toutes les qualités... Nous tentons de laisser une trace de quelque manière que ce soit, une bonne image de nous.