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M. le Professeur Jean
Charpentier
L'affaire du Rainbow Warrior
In: Annuaire français de droit international, volume 31, 1985. pp. 210-220.
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Charpentier Jean. L'affaire du Rainbow Warrior. In: Annuaire français de droit international, volume 31, 1985. pp. 210-220.
doi : 10.3406/afdi.1985.2655
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1985_num_31_1_2655L'AFFAIRE DU RAINBOW WARRIOR
Jean CHARPENTIER
Dans la nuit du 10 juillet 1985, le Rainbow Warrior, navire appartenant (1) au
mouvement écologiste Greenpeace, coulait dans le port d'Auckland à la suite de
deux violentes explosions rapprochées, alors qu'il se préparait à partir en campagne
contre les essais nucléaires français à Mururoa. Un photographe qui participait à
l'expédition et qui était remonté à bord entre les deux explosions — M. Pereira —
allait être victime de l'attentat. Quelques jours plus tard — le 15 juillet — un homme
et une femme, titulaires de passeports suisses au nom de M. et Mme Turenge, étaient
arrêtés par la police néo-zélandaise et allaient être inculpés de meurtre. On allait
bientôt apprendre que les « époux Turenge » étaient en réalité français, sans lien
matrimonial entre eux, et agents secrets de la D.G.S.E. (2) puis, peu à peu, qu'ils
avaient été associés à une opération menée par la D.G.S.E. pour neutraliser le
Rainbow Warrior, et à laquelle avaient participé d'autres agents en fuite, notam
ment les passagers d'un voilier, l'Ouvea, qui auraient, eux, exécuté directement
l'attentat.
Pendant près de deux mois — du 7 août à la fin septembre — l'opinion publique
allait être tenue en haleine par les développements d'une affaire qui, sur fond
d'espionnage, semblait devoir déboucher sur une crise politique majeure. Au-delà
du mystère qui planait sur les circonstances de l'exécution du forfait, un mystère
tout aussi opaque et beaucoup plus grave entourait les conditions dans lesquelles
il avait été décidé : à quel niveau politique se situait une responsabilité aussi
lourde ? L'hypothèse, réconfortante, d'un excès de zèle des exécutants était fort
improbable; celle d'une initiative des chefs des services secrets qui aurait été cachée
à leur ministre de tutelle était également peu crédible étant donné les répercussions
internationales prévisibles de l'opération et son coût financier; on mettait alors en
cause le ministre de la défense, si ce n'est le Premier ministre, voire le Président
de la République. C'est pour couper court à de telles spéculations que ce dernier
ordonna, le 7 août, de procéder sans délai à une enquête rigoureuse que le Premier
ministre, dès le lendemain, confiait à une personnalité incontestée liée à l'opposi
tion, le conseiller d'Etat Bernard Tricot, pour rechercher « si des agents, services ou
autorités français, ont pu être informés de la préparation d'un attentat criminel ou
même y participer » (3). Etait-il de bonne foi ou comptait-il sur la loi du silence,
qui est la règle d'or des services secrets, pour blanchir officiellement le Gouver
nement ? L'histoire l'établira peut-être un jour. Ce qui est sûr, c'est que le scénario
(*) Jean CHARPENTIER, Professeur à l'Université de Nancy II.
(1) Sous réserve d'une situation juridique complexe qui sera évoquée plus loin.
(2) Direction Générale de la Sécurité Extérieure. Ce sont le Commandant Alain Mafart et le Capitaine
Dominique Angèle Prieur.
(3) « Le Monde », 9 août. L'AFFAIRE DU RAINBOW-WARRIOR 211
a été bien près de réussir puisque le rapport remis par M. Tricot au Premier ministre
et rendu public le 26 août concluait par sa « certitude qu'au niveau gouvernemental
il n'a été pris aucune décision tendant à ce que le Rainbow Warrior soit endom
magé » (4).
En disculpant les pouvoirs publics français, le rapport Tricot laissait évidem
ment subsister le mystère sur l'origine de l'attentat, mais il se serait rapidement
enfoncé dans l'oubli si la Presse n'avait pris le relais de l'enquête officielle,
confirmant de façon éclatante le formidable pouvoir politique qui peut être le sien.
Des révélations parues dans « Le Monde » et certains autres journaux à partir du
17 septembre, en effet, ne laissaient guère de doute sur la responsabilité de la
D.G.S.E. dans la destruction du Rainbow Warrior, démontrant dès lors soit la
mauvaise foi du Gouvernement, soit son incapacité à contrôler ses services secrets.
Allait-on vers un Watergate français, qui allait balayer dans son sillage les plus
hautes autorités de l'Etat ? On pouvait s'y attendre, tant était grande l'émotion qui
secouait l'opinion publique. Pourtant, très curieusement, cette émotion allait tomber
en quelques jours; le 20, le Gouvernement sacrifiait deux têtes : le ministre de la
défense, Charles Hernu, dont la démission était acceptée avec « les regrets » du
Président de la République « pour un départ qui ne retire rien à vos mérites au
service du pays » (5), et le directeur-général de la D.G.S.E., l'amiral Pierre Lacoste,
qui avait refusé de livrer les noms des agents impliqués dans l'opération pour « ne
pas mettre en péril leur vie » et ne pas « compromettre l'ensemble de la sécurité
du service » (6), et le 22, le Premier ministre, M. Laurent Fabius, déclarait
publiquement : « Ce sont des agents de la D.G.S.E. qui ont coulé le Rainbow
Warrior; ils ont agi sur ordre » (7). L'abcès était crevé et personne ne trouva à redire
à ce que les seules arrestations opérées dans les jours qui suivirent par le nouveau
chef de la D.G.S.E., le général Imbot, frappent trois agents de son service
coupables... d'avoir renseigné la presse sur l'affaire !
C'est que, à la différence de Watergate, la dissimulation dont s'étaient rendu
coupables les autorités supérieures de l'Etat ne visait pas à couvrir une basse
opération de politique partisane, mais à sauvegarder l'efficacité d'une institution
— les services secrets — essentielle à la défense nationale. L'opposition ne pouvait
pas dès lors pousser son avantage au risque de désorganiser ces services et de
compromettre un peu plus la position internationale de la France. L'opinion
publique, de son côté, dont le souci de moralité était satisfait par les mesures prises
par le Premier ministre, était prête à serrer les rangs dans un réflexe cocardier pour
défendre les deux soldats victimes du devoir par l'intransigence de l'étranger.
L'affaire quittait ainsi le plan de la politique intérieure française pour entrer
dans celui du droit international. Dans cette perspective, la seule évidemment qui
nous intéresse ici, elle a fort peu de chance de constituer jamais un précédent
déterminant du droit de la responsabilité, étant donné le contexte politique dans
lequel elle se situe, doublement marqué du sceau du secret de la défense nationale
— les essais nucléaires et les services secrets — : le Gouvernement préférera
nécessairement régler par les voies discrètes de la négociation un différend qu'il
n'a aucun désir de porter sur la place publique. Elle offre en revanche pour l'étude
du droit de la responsabilité internationale un cas particulièrement intéressant, tant
(4) « Le Monde », 27 août. M. TRICOT n'excluait pas cependant l'hypothèse selon laquelle il aurait été
incomplètement informé.
(5) « Le Monde », 22-23 septembre.
(6) Selon les termes de sa lettre au Premier ministre, « Le Monde », 22-23 septembre.
(7) « Le Monde », 24 212 L'AFFAIRE DU RAINBOW-WARRIOR
l'enchevêtrement des intérêts en présence permet de tester, voire de remettre en
cause le quasi postulat selon lequel la responsabilité internationale est une relation
d'Etat à Etat.
Ici, en effet, l'unité de l'action dommageable — la destruction du bateau —
révèle non seulement une diversité des victimes, dont l'une, la Nouvelle-Zélande, est
bien un Etat, mais dont les autres — l