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RA YMON D ROUSSEL
LO CUS SOLUS
BI BEBO O KRA YMON D ROUSSEL
LO CUS SOLUS
1914
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1142-3
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
commençant av ril, mon savant ami le maîtr e Martial
Canter el m’avait convié , av e c quelques autr es de ses intimes,C à visiter l’immense p ar c envir onnant sa b elle villa de
Montmor ency .
Locus Solus — la pr opriété se nomme ainsi — est une calme r etraite où
Canter el aime p our suiv r e en toute tranquillité d’ esprit ses multiples et
fé conds travaux. En ce lieu solitaire il est suffisamment à l’abri des
agitations de Paris — et p eut cep endant g agner la capitale en un quart d’heur e
quand ses r e cher ches né cessitent quelque station dans telle bibliothè que
sp é ciale ou quand ar riv e l’instant de fair e au monde scientifique , dans une
confér ence pr o digieusement cour ue , telle communication sensationnelle .
C’ est à Locus Solus que Canter el p asse pr esque toute l’anné e , entouré
de disciples qui, pleins d’une admiration p assionné e p our ses continuelles
dé couv ertes, le se condent av e c fanatisme dans l’accomplissement de son
œuv r e . La villa contient plusieur s piè ces luxueusement aménag é es en
1Lo cus Solus Chapitr e I
lab oratoir es mo dèles qu’ entr etiennent de nombr eux aides, et le maîtr e
consacr e sa vie entièr e à la science , aplanissant d’ emblé e , av e c sa grande
fortune de célibatair e e x empt de char g es, toutes difficultés matérielles
suscité es au cour s de son lab eur achar né p ar les div er s buts qu’il
s’assigne .
T r ois heur es v enaient de sonner . Il faisait b on, et le soleil étincelait
dans un ciel pr esque unifor mément pur . Canter el nous avait r e çus non
loin de sa villa, en plein air , sous de vieux arbr es dont l’ ombrag e env
elopp ait une confortable installation compr enant différ ents sièg es d’ osier .
Après l’ar rivé e du der nier conv o qué , le maîtr e se mit en mar che ,
guidant notr e gr oup e , qui l’accomp agnait do cilement. Grand, br un, la
physionomie ouv erte , les traits régulier s, Canter el, av e c sa fine moustache
et ses y eux vifs où brillait sa mer v eilleuse intellig ence , accusait à p eine
ses quarante-quatr e ans. Sa v oix chaude et p er suasiv e donnait b e aucoup
d’arait à son élo cution pr enante , dont la sé duction et la clarté faisaient
de lui un des champions de la p ar ole .
Nous cheminions depuis p eu dans une allé e en p ente ascendante fort
raide .
A mi-côte nous vîmes au b ord du chemin, deb out dans une niche de
pier r e assez pr ofonde , une statue étrang ement vieille , qui, p araissant
formé e de ter r e noirâtr e , sè che et solidifié e , r eprésentait, non sans char me ,
un souriant enfant nu. Les bras se tendaient en avant dans un g este d’
offrande , — les deux mains s’ ouv rant v er s le plafond de la niche . Une p etite
plante morte , d’une e xtrême vétusté , s’éle vait au milieu de la de xtr e , où
jadis elle avait pris racine .
Canter el, qui p our suivait distraitement son chemin, dut rép ondr e à
nos questions unanimes.
« C’ est le Fé déral à semen-contra v u au cœur de T omb ouctou p ar Ibn
Batouta, » dit-il en montrant la statue , — dont il nous dé v oila ensuite l’
origine .
††
Le maîtr e avait connu intimement le célèbr e v o yag eur Échenoz, qui
lor s d’une e xp é dition africaine r emontant à sa prime jeunesse était allé
jusqu’à T omb ouctou.
S’étant p énétré , avant le dép art, de la complète bibliographie des
ré2Lo cus Solus Chapitr e I
gions qui l’airaient, Échenoz avait lu plusieur s fois certaine r elation du
thé ologien arab e Ibn Batouta, considéré comme le plus grand e xplorateur
du X I V ᵉ siè cle après Mar co Polo .
C’ est à la fin de sa vie , fé conde en mémorables dé couv ertes g é
ographiques, alor s qu’il eût pu à b on dr oit g oûter dans le r ep os la plénitude de
sa gloir e , qu’Ibn Batouta avait tenté une fois encor e une r e connaissance
lointaine et v u l’énigmatique T omb ouctou.
Durant sa le ctur e Échenoz avait r emar qué entr e tous l’épiso de
suivant.
and Ibn Batouta entra seul à T omb ouctou, une silencieuse
consternation p esait sur la ville .
Le trône app artenait alor s à une femme , la r eine Duhl-Sér oul, qui, à
p eine âg é e de vingt ans, n’avait p as encor e choisi d’ép oux.
Duhl-Sér oul souffrait p arfois de ter ribles crises d’aménor rhé e , d’ où
résultait une cong estion qui, aeignant le cer v e au, pr o v o quait des accès
de folie furieuse .
Ces tr oubles causaient de grav es préjudices aux natur els, v u le p
ouv oir absolu dont disp osait la r eine , pr ompte dès lor s à distribuer des ordr es
insensés, en multipliant sans motif les condamnations capitales.
Une ré v olution eût pu é clater . Mais hor s ces moment d’ab er ration
c’était av e c la plus sag e b onté que Duhl-Sér oul g ouv er nait son p euple , qui
rar ement avait g oûté règne aussi fortuné . A u lieu de se lancer dans
l’inconnu en r env er sant la souv eraine , on supp ortait p atiemment les maux
p assag er s comp ensés p ar de longues p ério des florissantes.
Par mi les mé de cins de la r eine aucun jusqu’alor s n’avait pu enray er
le mal.
Or à l’ar rivé e d’Ibn Batouta une crise plus forte que toutes les pré
cédentes minait Duhl-Sér oul. Sans cesse il fallait, sur un mot d’ elle , e x é cuter
de nombr eux inno cents et brûler des ré coltes entièr es.
Sous le coup de la ter r eur et de la famine les habitants aendaient
de jour en jour la fin de l’accès, qui, se pr olong e ant contr e toute raison,
r endait la situation intenable .
Sur la place publique de T omb ouctou se dr essait une sorte de fétiche
auquel la cr o yance p opulair e prêtait une grande puissance .
3Lo cus Solus Chapitr e I
C’était une statue d’ enfant entièr ement comp osé e de ter r e sombr e —
et jadis fondé e en de curieuses cir constances sous le r oi For ukk o , ancêtr e
de Duhl-Sér oul.
Possé dant les qualités de sens et de douceur r etr ouvé es en temps
normal chez la r eine actuelle , For ukk o , é dictant des lois et p ayant de sa p
ersonne , avait p orté haut la pr osp érité de son p ay s. Agr onome é clairé , il
sur v eillait lui-même les cultur es, afin d’intr o duir e maints fr uctueux p
erfe ctionnements dans les métho des caduques touchant les semailles et la
moisson.
Émer v eillé es de cet état de choses, les tribus limitr ophes s’allièr ent
à For ukk o p our pr ofiter de ses dé cr ets et avis, non sans g arder chacune
son autonomie av e c le dr oit de r epr endr e à son gré une indép endance
complète . Il s’agissait là d’un p acte d’amitié et non de soumission, p ar
le quel on s’ eng ag e a en outr e à se co aliser au b esoin contr e un ennemi
commun.
A u milieu d’un fol enthousiasme dé chaîné p ar la dé claration
solennelle de l’immense union accomplie , on résolut de cré er , en guise d’
emblème commémoratif apte à immortaliser l’é clatant é vénement, une
statue faite uniquement de ter r e prise au sol des div er ses tribus conjointes.
Chaque p euplade env o ya son lot, en choisissant de la ter r e vég étale ,
sy mb ole de l’ab on