Anna de Noailles« Parmi les lettresqu’on n’envoie pas »Nouvelle inédite par laComtesse de NoaillesMadame,Je puis enfin vous offrir aujourd’hui mon amitié. Ces mots vous surprendront. Voilàbien des années, penserez-vous, qu’une tendre affection nous lie. Il est vrai que jevous ai toujours aimée avec un empressement qui, bien que sincère, dépassait lenaturel, et dont j’ai souffert avec orgueil et contrition. Vous-même avez ressenti pourmoi une sympathie vigilante où je voyais s’agiter parfois le mystère de la crainte, debrusques et légères révoltes, que dominait un instinctif enchaînement. Vous merecherchiez comme je vous recherchais. Si j’avais été dans l’usage de pouvoir meplaindre, c’est près de vous que j’aurais apporté ma tristesse et cherché monsecours. Vous, plus frémissante, bien qu’obscure, m’avez fait la grâce de me livrerà certaines heures votre mélancolie, qui n’exposait pas de raisons. J’ai senti contremon visage votre visage turbulent de cris retenus, de réserve palpitante, et jeconnais le goût de vos larmes dont se noyait mon cœur, – car, dans ces momentsde confiance, vous m’étiez plus sacrée que ma vie, et que celle de l’être qu’ensecret nous partagions. De toutes mes forces, j’ai essayé de vous dissimuler macompassion renseignée ; je soutenais votre orgueil, je vous dispensais une confusemais suffisante sécurité. Vous n’avez rien su de ce long amour qui a parcouru dansle même temps votre existence et la mienne. Quand vous étiez mariée ...
Voir