Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné
Lettres de Madame de Sévigné,
de sa famille et de ses amis
Hachette, 1862 (pp. 96-104).
437. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
eÀ Paris, mercredi 28 août.
Si l’on pouvoit écrire tous les jours, je le trouverois fort bon ; et souvent je trouve le moyen de le faire, quoique mes lettres ne partent
pas. Le plaisir d’écrire est uniquement pour vous ; car à tout le reste du monde, on voudroit avoir écrit, et c’est parce qu’on le doit.
[1]Vraiment, ma fille, je m’en vais bien vous parler encore de M. de Turenne. Mme d’Elbeuf , qui demeure pour quelques jours chez le
cardinal de Bouillon, me pria hier de dîner avec eux deux, pour parler de leur affliction. Mme de la Fayette y étoit. Nous fîmes bien
précisément ce que nous avions résolu : les yeux ne nous séchèrent pas. Elle avoit un portrait divinement bien fait de ce héros, et tout
[2]son train étoit arrivé à onze heures : tous ces pauvres gens étoient fondus en larmes, et déjà tous habillés de deuil. Il vint trois
gentilshommes qui pensèrent mourir de voir ce portrait : c’étoient des cris qui faisoient fendre le cœur ; ils ne pouvoient prononcer
une parole ; ses valets de chambre, ses laquais, ses pages, ses trompettes, tout étoit fondu en larmes, et faisoit fondre les autres. Le
premier qui put prononcer une parole répondit à nos tristes questions : nous nous fîmes raconter sa mort. Il vouloit se confesser le
soir, et en se cachotant il avoit donné les ordres pour le ...
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