Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SévignéLettres de Madame de Sévigné,de sa famille et de ses amisHachette, 1862 (pp. 51-59).————431. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉÀ MADAME DE GRIGNAN.eÀ Paris, du 16 août.JE voudrois mettre tout ce que vous m’écrivez de M. de Turenne dans une oraisonfunèbre : vraiment votre lettre est d’une énergie et d’une beauté extraordinaire ;vous étiez dans ces bouffées d’éloquence que donne l’émotion de la douleur. Necroyez point, ma bonne, que son souvenir fût fini ici quand votre lettre est arrivée :ce fleuve qui entraîne tout, n’entraîne pas sitôt une telle mémoire ; elle estconsacrée à l’immortalité, et même dans le cœur d’une infinité de gens dont lessentiments sont fixés sur ce sujet. J’étois l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld.[1]Monsieur le Premier y vint : Mme de Lavardin, M. de Marsillac, Mme de la Fayette[2]et moi . La conversation dura deux heures sur les divines qualités de ce véritablehéros : tous les yeux étoient baignés de larmes, et vous ne sauriez croire comme ladouleur de sa perte est profondément gravée dans les cœurs : vous n’avez rien par-dessus nous que le soulagement de soupirer tout haut et d’écrire son panégyrique.[3]Nous remarquions une chose, c’est que ce n’est pas depuis sa mort que l’onadmire la grandeur de son cœur, l’étendue de ses lumières et l’élévation de sonâme : tout le monde en étoit plein pendant sa vie ; et vous pouvez penser ce que faitsa perte par dessus ce qu’on étoit déjà ; enfin ...
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