Léon TolstoïDernières ParolesMercure de France, 1905 (pp. 293-305).LETTRE À NICOLAS IICher frère,Cette appellation me semble la plus convenable parce que, dans cette lettre, jem’adresse moins à l’empereur qu’à l’homme, qu’au frère. Et, en outre, je vous écrispresque de l’autre monde, me trouvant dans l’attente de la mort très prochaine.Je ne voudrais pas mourir, sans vous dire ce que je pense de votre activitéprésente, ce qu’elle pourrait être, et quel grand bien elle pourrait apporter à desmillions d’hommes et à vous-même, et quel grand mal elle peut faire si elle sepoursuit dans la voie où elle est actuellement engagée.Un tiers de la Russie est soumis à une surveillance policière renforcée : l’arméedes policiers, avoués et inavoués, augmente sans cesse ; les prisons, les lieux dedéportation et les bagnes sont combles ; outre deux cent mille criminels de droitcommun, il y a une quantité considérable de condamnés politiques parmi lesquelsmaintenant on compte aussi des ouvriers. La censure a atteint dans les mesuresrépressives une absurdité à laquelle elle ne parvint point dans les pires momentsdes années qui suivirent 1840. Les persécutions religieuses ne furent jamais sifréquentes ni si cruelles que maintenant, et deviennent de plus en plus cruelles etfréquentes.Dans les villes et les centres industriels sont concentrées des troupes qui, arméesde fusils, sont envoyées contre le peuple. En plusieurs endroits, des chocsmeurtriers se sont déjà ...
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