Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléesSur les poëmes des anciensSUR LES POËMES DES ANCIENS.(1685.)Il n’y a personne qui ait plus d’admiration que j’en ai, pour les ouvrages desanciens. J’admire le dessein, l’économie, l’élévation de l’esprit, l’étendue de laconnoissance : mais le changement de la religion, du gouvernement, des mœurs,des manières, en a fait un si grand dans le monde, qu’il nous faut comme un nouvelart, pour entrer dans le goût et dans le génie du siècle où nous sommes.Et certes mon opinion doit être trouvée raisonnable par tous ceux qui prendront lapeine de l’examiner. Car si l’on donne des caractères tout opposés, lorsqu’on parledu Dieu des Israélites et du Dieu des chrétiens, quoique ce soit la même divinité :si on parle tout autrement du dieu des batailles, de ce dieu terrible qui commandoitd’exterminer jusqu’au dernier des ennemis, que de ce Dieu patient, doux,charitable, qui ordonne qu’on les aime ; si la création du monde est décrite avec ungénie, la rédemption des hommes avec un autre ; si l’on a besoin d’un genred’éloquence, pour prêcher la grandeur du père qui a tout fait, et d’un autre, pourexprimer l’amour du fils qui a voulu tout souffrir ; comment ne faudroit-il pas unnouvel art et un nouvel esprit, pour passer des faux dieux au véritable, pour passerde Jupiter, de Cybèle, de Mercure, de Mars, d’Apollon, à Jésus-Christ, à la Vierge,à nos anges et à nos saints ?Ôtez les dieux à l’antiquité, vous lui ôtez tous ses poëmes : ...
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