Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Sur la complaisance que les femmes ont en leur beauté
SUR LA COMPLAISANCE QUE LES FEMMES
ONT EN LEUR BEAUTÉ.
(1663.)
Il n’y a rien de si naturel aux belles personnes, que la complaisance qu’elles ont en
leur beauté : elles se plaisent, avant qu’on leur puisse plaire ; elles sont les
premières à se trouver aimables et à s’aimer. Mais les mouvements de cet amour
sont plus doux qu’ils ne sont sensibles : car l’amour-propre flatte seulement, et celui
qui est inspiré se fait sentir.
Le premier amour se forme naturellement en elles, et n’a qu’elles pour objet : le
second vient du dehors, ou attiré par une secrète sympathie, ou reçu par la violence
d’une amoureuse impression. L’un est un bien qui ne fait que plaire, mais toujours
un bien, et qui dure autant que la beauté ; l’autre sait toucher davantage, mais il est
plus sujet au changement.
À cet avantage de la durée, qu’a la complaisance de la beauté sur le mouvement
de la passion, vous pouvez ajouter encore qu’une belle femme se portera plutôt à la
conservation de sa beauté, qu’à celle de son amant : moins tendre qu’elle est pour
un cœur assujetti, que vaine et glorieuse de ce qui peut lui donner la conquête de
tous les autres. Ce n’est pas qu’elle ne puisse être sensible pour cet amant ; mais,
avec raison, elle se résoudra plutôt à souffrir la perte de ce qu’elle aime, que la
ruine de ce qui la fait aimer.
Il y a je ne sais quelle douceur à pleurer la mort de celui qu’on a aimé. Votre ...
Voir