Charles de Saint-ÉvremondŒuvres mêléesSur l’amitiéSUR L’AMITIÉ.À Madame la duchesse Mazarin.1(1676 .)De tous ces dits des anciens, que vous avez si judicieusement remarqués, et siheureusement retenus, il n’y en a point qui me touche davantage que celuid’Agésilas, lorsqu’il recommande l’affaire d’un de ses amis à un autre. Si Nicias n’apoint failli, délivre-le ; s’il a failli, délivre-le pour l’amour de moi : de quelque façonque ce soit, délivre-le. Voyez, Madame, jusqu’où va la force de l’amitié. Un roi desLacédémoniens, si homme de bien, si vertueux, si sévère ; un roi qui devoit desexemples de justice à son peuple, ne permet pas seulement, mais ordonne d’êtreinjuste, où il s’agit de l’affaire de son ami.Qu’un homme privé eût fait la même chose qu’Agésilas, cela ne surprendroit pas.Les particuliers ne trouvent que trop de contrainte dans la vie civile. Une des plusgrandes douceurs qu’ils puissent goûter, c’est de revenir quelquefois à la nature, etde se laisser aller à leurs propres inclinations. Ils obéissent à regret à ceux quicommandent ; ils aiment à rendre service à ceux qui leur plaisent. Mais qu’un roi,occupé de sa grandeur, renonce aux adorations publiques, renonce à son autorité,à sa puissance, pour descendre en lui-même et y sentir les mouvements les plusnaturels de l’homme ; c’est ce qu’on ne comprend pas facilement, et ce qui méritebien que nous y fassions réflexion.Il est certain qu’on ne doit pas regarder son prince, comme son ami. ...
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