214
pages
Français
Documents
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe Tout savoir sur nos offres
214
pages
Français
Documents
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe Tout savoir sur nos offres
ÉMI LE MOSELL Y
T ERRES LORRAI N ES
BI BEBO O KÉMI LE MOSELL Y
T ERRES LORRAI N ES
1907
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1132-4
BI BEBO OK
w w w .bib eb o ok.comLicence
Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
Except where otherwise noted, this work is licensed under
h tt p : / / c r e a ti v e c o m m on s . or g / l i c e n s e s / b y - s a / 3 . 0 /
Lir e la licence
Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
distribuer , l’ env o y er à v os amis. V ous êtes d’ailleur s
encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.Pr emièr e p artie
1 sept heur es du matin, en no v embr e . Une aub e
pluvieuse filtrait du ciel bas, no yait les champs d’une désolation infi-I nie . Les chaumes grisâtr es, lavés p ar l’automne , r e vêtaient la ter r e
d’une toison hérissé e , p ar eille à un vêtement de misér eux. La pluie cessait
p ar moments ; alor s une bué e d’ e au se le vait des b ois, dont le
moutonnement ondulait dans les lointains ; puis une dé chir ur e livide s’ ouv rait
au flanc des nuag es ; la pluie tombait en un r uissellement de cataracte ,
comme si toutes les e aux du ciel s’étaient r ué es p ar cee ouv ertur e .
La r oute dé valait pr esque à pic. Par endr oits des bancs de pier r e
affleurant le sol y faisaient des mar ches d’ escalier p our des p as de g é ant, et ces
pier r es blanches étaient p olies p ar la r oue des chariots, p ar l’é coulement
des e aux, p ar le glissement des sables.
D eux silhouees s’ébauchèr ent dans la grisaille du lointain, deux p
aysans qui mar chaient côte à côte .
Ils s’ar rêtèr ent du même mouv ement en haut de la monté e , et s’étant
adossés à des « landr es » de b ois se c, qui fer maient une friche , ils y
appuyèr ent les lourdes hoes d’ osier qui leur sciaient les ép aules.
Ils étaient tous deux étrang ement p ar eils, vêtus de futaine grise que
la pluie r e couv rait d’une fine bué e de g ouelees, ayant le tor se ser ré
2T er r es lor raines Chapitr e
dans un tricot de laine br une . Leur s phy sionomies fr ustes et grav es
s’éclairaient du même r eg ard bleu. Mais l’un était un jeune g ar s bien planté ,
dont les joues se r e couv raient d’une barb e châtain, frisé e et dr ue , tandis
que l’autr e , un vieux, tout courbé p ar le travail des champs, p araissait
infir me , incap able de se r e dr esser désor mais p our r eg arder les nuag es, le
ciel lumineux, les sp e ctacles qui ég aient les hommes et les ré confortent.
Ils soufflèr ent un moment, tandis qu’un pâle ray on de soleil, filtrant à
trav er s la pluie , courait sur l’horizon, allumait des lueur s dans les buissons
d’épine . Un r oitelet, tout près d’ eux, fit entendr e quelques notes d’une
chanson mouillé e et frissonnante .
Puis l’av er se r e doubla.
― Pier r e , dit le vieux, v’là qu’ ça r e commence .
Et l’autr e rép ondit, haussant les ép aules d’un air de lassitude :
― C’ est le temps de la saison.
Ils se r emir ent en mar che , ayant dans leur allur e le mor ne accablement
des bêtes de somme . T out un airail de pê che dansait dans leur s hoes.
Pour franchir les r uisse aux d’ e au b oueuse , ils sautaient sur les pier r es
branlantes, étendant les bras p our r epr endr e leur é quilibr e . Pier r e avait
le bras p assé dans l’anse d’un p ot de fonte ébré ché , où couvait un feu
de braise . and la rafale tour no yante p assait sur les deux hommes, une
mince colonne de cendr e , sortant du vase , montait dans l’air , comme une
fumé e .
Ils ar rivèr ent au b ord de la Moselle . La rivièr e coulait, rapide et glacé e ,
sous des branches de saules g ar nies de « chativ es », brins de joncs et de
r ose aux se cs, amenés p ar les cr ues ré centes, que le v ent agitait av e c un
long fr oissement triste . Une bar que était amar ré e à la b er g e , une vieille
bar que dont le fond était obstr ué de gravats et d’herb es folles.
Les deux hommes y montèr ent. Elle p artit lentement, puis s’anima
p eu à p eu, g agné e p ar la vie mobile et frémissante du flot. Les b er g es
fuyaient de chaque côté d’un mouv ement monotone , laissant ap er ce v oir
dans la pr ofondeur des prairies inondé es des saules étêtés qui le vaient
leur s têtes diffor mes. Et p arfois aussi on côto yait des tas de b ois empilés
à la lisièr e des forêts. Alor s une o deur forte de tan courait sur l’ e au : ce
souffle p énétrant que les grands chênes e xhalent après leur mort.
Puis la rivièr e s’élar git, de vint un lac d’ e au jaunâtr e . Les deux hommes
3T er r es lor raines Chapitr e
se mir ent à pê cher .
Assis sur la planche à l’ar rièr e , le vieux D ominique faisait dé crir e à sa
bar que des courb es lentes. Puis il jetait dans l’ e au des p oigné es de son
et de chène vis. D e grandes traîné es blanches filaient à la surface ; les
co ques légèr es des grains de chène vis se disp er saient en une p oussièr e
grise . Bientôt des ablees airé es, montant des pr ofondeur s, tr ouaient
la napp e de leur frétillement lég er , de leur pullulement innombrable .
Par eille aux inse ctes sortis de la ter r e à la fin d’une jour né e chaude , toute
cee v er mine de la rivièr e gr ouillait, tour no yait, happ ait les menus débris
emp ortés au fil de l’ e au.
Pier r e , deb out à l’avant, plong e ait dans la rivièr e le lar g e filet, tendu
sur deux bâtons en cr oix, qu’ on app elle un é chiquier . Puis il le r ele vait
d’un vig our eux tour de r eins, camp é solidement sur ses jamb es é carté es
au fond de la nacelle , qui vacillait à chacun de ses mouv ements.
Les ablees s’ entassaient dans un coin, les v entr es blancs jetant des
lueur s pâles.
Un r ude métier , cee pê che . Rentrés au logis, les deux hommes
raclaient les p oissons, meant de côté les é cailles qui luisaient comme des
pié cees d’ar g ent. Ils en r emplissaient une grande b oîte de fer-blanc,
qu’ils allaient tous les quinze jour s e xp é dier à la p oste de la ville . Ils
savaient vaguement qu’ on env o yait la chose à Paris p our fabriquer des
p erles fausses.
La pluie tombait toujour s : on aurait pu tordr e leur s vêtements. Une
vap eur d’ e au montait de leur s ép aules, de leur s jamb es, de leur s bras.
Leur s mains, cinglé es p ar l’av er se , s’ eng ourdissaient, de v enaient si
maladr oites qu’ils s’ empêtraient dans les b esognes les plus simples.
Parfois ils pâlissaient, tout près de défaillir . Mais ils ne se plaignaient
p as, r etenus p ar une sorte de pudeur , craignant de p asser p our des
femmelees. D es p ensé es tristes, de lentes obsessions tour no yaient
invinciblement dans leur s cer v e aux. Le vieux D ominique song e ait à la vie qui
se faisait plus âpr e chaque jour . On trimait toute sa chienne de vie p our
amasser quatr e sous et on n’y ar rivait p as. Mais il finirait bien p ar se
r ep oser ! On le coucherait auprès de sa femme , la Marie- Anne , dans le
p etit cimetièr e de camp agne dont les cr oix s’ effritent sous les hâles
dessé chants, sous le r uissellement des pluies d’automne .
4T er r es lor raines Chapitr e
Pier r e , plus jeune , r egr eait simplement le b on gîte , la pip e qu’ on
fume au coin de l’âtr e ; une vision obsé dante ramenait de vant ses y eux la
« taque » de fonte dr essé e dans la cheminé e , une plaque v enue des temps
anciens, couv erte de dessins qu’ on ne compr enait plus. La suie qui la r
evêtait s’ enflammait p arfois dans le feu clair des b our ré es, et des r oug e
oiements y couraient, p ar eils à de