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P A U L V ERLAI N E
MES P RISONS
BI BEBO O KP A U L V ERLAI N E
MES P RISONS
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1170-6
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
C . P au coin de la r ue Blanche , à dr oite en v
enant de Notr e-D ame de Lor ee . Une grille monumentale surR une cour p avé e , menant au réfe ctoir e de la p ension L. . . A main
dr oite , une p etite p orte donnant accès à l’intérieur de l’établissement, aux
côtés de laquelle , accr o chés, deux p anne aux noir s p ortaient en ler es d’ or
les sciences et arts div er s enseignés dans l’établissement. Un immense
mur av e c des défenses inter minablement longues, en lourds caractèr es
officiels à demi effacés p ar les intemp éries, d’afficher et de dép oser des
ordur es, en v ertu de telles et telles lois de telles anné es déjà très anciennes,
et, der rièr e , le dép assant d’à p eu près un mètr e et demi, les constr uctions
basses des études et des dortoir s.
T out cela disp ar u depuis cinq ou six ans p our fair e place , bien
entendu, à de belles maisons de rapp ort à des tr ente-six étag es au-dessus de
l’ entr esol.
C’était là qu’il y a tr op longtemps je commençais mes « études » après
1Mes prisons Chapitr e I
av oir ache vé d’appr endr e à lir e , à é crir e — et à compter (mal) dans une
p etite classe élémentair e . . .
J’étais en septième au ly cé e Bonap arte où la p ension nous
conduisait deux fois p ar jour ; mais comme je me tr ouvais en r etard, v u quelque
fiè v r e muqueuse que j’avais eue , on me donnait des rép étitions, et c’était
le maîtr e de p ension, le pèr e L. . . qui nous inculquait, car nous étions
plusieur s, dont quelques cancr es — desquels p as encor e moi — les princip es
de la latinité , non sans une e xtrême p atience p arfois, tout de même , en
défaut, témoin ce qui va briè v ement suiv r e .
Rosa , la r ose , n’avait plus que p eu de my stèr es p our moi. Puer
bonus , mater bona. . ., pensum bonum , non plus. J’avais franchi, non sans
encombr es, cee p asse dang er euse du qui , quæ, quod , et, en aendant l’affr e
déjà soup çonné e de ce « que r etranché ! » non moins que les é cueils d’une
heur eusement encor e lointaine sy ntax e , j’ en étais à la se conde conjug
aison des v erb es actifs.
C’ est de legere qu’il r etour nait un certain jour .
J’ai encor e présent le théâtr e de ces matiné es plutôt ennuy euses en
somme p our des g amins à p eine se v rés de p ap a et de maman. Un cabinet
g ar ni d’un vaste bur e au, d’une chaise-fauteuil dossier d’acajou, sièg e de
cuir , d’un banc et d’une table p er cé e de tr ous où des encrier s en plomb à
l’usag e des « élè v es » que nous étions. D e temps en temps la le çon se tr
ouvait inter r ompue p ar l’ entré e d’un tamb our de la Garde Nationale , b
onnet de p olice noir à b ordur es quadrillé es et à gland r oug e et blanc, v enant
dép oser quelque rapp ort au bas duquel notr e maîtr e , capitaine
adjudantmajor , meait sa signatur e , et, disp araissant dans le salut militair e auquel
le pèr e L. . . rép ondait en soule vant sa caloe de v elour s ramag é e de soie
bleue .
Ce jour-là :
― V erlaine , conjuguez legere.
― Lego ; je lis, legis , tu lis, etc.
― Bien. L’imp arfait ?
― Legebam, je lisais, etc.
― Parfait. Le prétérit ?
Moi tout frais émoulu de la pr emièr e conjug aison.
― Legavi.
2Mes prisons Chapitr e I
― Legavi ?
« Lexi », me souffla un de mes camarades, plus « fort » que moi, de la
meilleur e foi du monde .
Moi, sûr de mon fait :
― Lexi , m’sieu.
― Legavi ! Lexi ! hurla liéralement le p atr on, dr essé sur ses
chaussons à talons, p our pr e , pr esque é cumant, tandis que sa r ob e de chambr e
bleu marine à doublur e capitonné e r oug e floait autour de ses assez
maigr es jamb es aeintes de vagues rhumatismes, et qu’un tr ousse au de
clefs vig our eusement lancé allait frapp er le mur à g auche de ma tête prise
à deux mains et r enfor cé e dans mes ép aules, tôt suivi d’un dictionnair e
de Noël et icherat, pr esque un Boin, qui vint s’é crab ouiller à dr oite
de ma tête sur le mur en question. Une double maladr esse sans doute
intentionnelle après tout.
Et après quelques p as trépidants de male rag e p eut-êtr e sincèr e .
― A u cachot, monsieur !
Un timbr e fut sonné et le cuistre ( lisez le g ar çon de cour , un p eu à tout
fair e : on l’app elait familièr ement Suce-mèche , à cause des lamp es qu’il
allumait p our l’étude du soir ) app ar ut.
― Conduisez ce p ar esseux au cachot.
Et m’y v oici au « cachot », muni de legere à copier dix fois av e c le
français en r eg ard. Un cachot d’ailleur s sortable , lumineux, sans rats ni
souris, sans v er r ous (un tour de clef avait suffi), de quoi s’asse oir , et, —
moindr e chance — de quoi é crir e , et d’ où je sortis au b out de deux p
etites heur es, pr obablement aussi savant qu’aup aravant, mais à coup sûr
plein d’app étit, tôt assouvi, d’amour de la lib erté ( la b onne , qui est
l’indép endance ) et qui sait ? de cet esprit, v raisemblable , d’av entur e , qui, tr op
débridé , m’aura jeté dans les casse-cou d’un p eu tous les g enr es !
elles impr essions fur ent miennes dans cee miniatur e de
captivité ? Je ne saurais natur ellement bien les pré ciser en ce moment de mon
âg e mûr , déjà ! après tant d’anné es et tant d’un p eu plus sérieux v
err ous sur ma lib erté d’homme p our telles et telles causes au nombr e
desquelles faut-il compter pré cisément l’abus de la conjug aison en question
plus haut, et l’humble ane cdote que je viens de rapp orter ne serait-elle p ar
hasard qu’un sy mb ole ? Ne constituait-elle p as, à l’ép o que , comme
l’an3Mes prisons Chapitr e I
nonce et le pr essentiment de malheur s dus à LA LECT U RE ?
Estampillaitelle déjà mon enfance du mot fatidique de ce détestable si sav our eux V
allès : « Victime du Liv r e », en b on latin cee fois : Legi ?
n
4CHAP I T RE I I
« Or ceci se passait. . . »
1870 mois de dé cembr e , J’étais g arde national au 160 ᵉ
bataillon, se cteur je ne sais plus quantième , v er s Montr oug e etE V anv es. D e plus, je r emplissais depuis déjà longtemps les
fonctions d’ e xp é ditionnair e à la Préfe ctur e de la Seine , emploi qui m’ eût
e x empté de tout ser vice « militair e », n’ eût été mon p atriotisme (un p eu
patrouilloe , entr e nous, cas, en ces temps de fiè v r e obsidionale , de
plusieur s d’ entr e les Parisiens, d’ailleur s). elque amour de l’unifor me —
de quel unifor me ! — et un p eu de curiosité , aussi, me p oussaient. Br ef,
le Remp art et le Bur e au alter naient plus ou moins agré ablement dans ma
vie assez confortable d