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P A U L V ERLAI N E
LOU ISE LECLERCQ
BI BEBO O KP A U L V ERLAI N E
LOU ISE LECLERCQ
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1168-3
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.Pr emièr e p artie
LOU ISE LECLERCQ
1CHAP I T RE I
a guèr e de mélancolie plus ép aisse , de tristesse plus lourde
que la p ensé e de viv r e dans ces énor mes maisons de plâtr e , à cinqI et six étag es, av e c leur s innombrables v olets gris, comme des p
oitrines de squelees à plat sur le blanc sale du mur , de l’ancienne banlieue
p arisienne . Je p arle plus sp é cialement des quartier s p aisibles, honnêtes,
où la bâtisse a pr osp éré grâce aux lo catair es b ons p ay eur s, où ont pu se
for mer de très longues r ues sans air et sans soleil. Le p etit r entier qui
r ente si magnifiquement le p ossesseur de ces hideux phalanstèr es a bien
raison d’êtr e p our la plup art du temps un imbé cile , car qui p our rait, à
un certain âg e , le temps du r ep os v enu, finir sa vie , non p as même
heur eusement, mais tranquillement, dans de p ar eilles conditions d’insalubr e
laideur et de platitude vénéneuse ? L’homme jeune , le ménag e qui a sa
fortune à fair e ou son p ain à g agner sur la vie de tous les jour s, p eut à
la rigueur admer e cee hy giène absurde , s’y fair e , la supp orter , — au
prix de quel ennui mé chant, toutefois, de quelles sensations p er v er ses, de
2Louise Le cler c q Chapitr e I
quelles envies de briser à jamais ce cadr e noir et d’ en sortir p our quelles
fuites ! Et combien de lamentables culp abilités de quelque ordr e que ce
soit p our raient s’ e xpliquer , sinon s’ e x cuser , p ar ces motifs tortueux,
inav oués, insoup çonnés, de milieux analogues ou p ar eils ?
La r ue des D ames, aux Batignolles, p eut ser vir de ty p e à ces mor nes
enfilades de bâtisses à suer les r e v enus. . . et la santé des brav es b
ourg e ois qu’ eng ouffr e et pr essur e l’immense sp é culation mo der ne sur les
immeubles. Relativ ement p assante et très commer çante à pr op ortion, elle
présente assez de vie nor male et de mouv ement né cessair e p our ne p as
entr er logiquement dans la catég orie de ce que l’ on a app elé des coins
d’idylle p arisienne . Du r este , le quartier lui-même des Batignolles ne prête
p as le moins du monde à ces g alantes ou sinistr es sugg estions, tout
entier bâti qu’il est p our la lo cation en masse , sans pr esque de jardins, ni de
mur s sur montés de branches, ni de ces ter rains à g azon, théâtr es de bien
des scènes qui ne sont p as toujour s p olissonnes : l’asp e ct g énéral y est
mesquinement b our g e ois, cossu p auv r ement, rang é , chiche , mais pr opr e
autant que p ossible en dépit des r uisse aux taris, des b ouches d’ég oûts
insuffisamment étr oites, et des b or nes-fontaines ridiculement rar es. Les
mag asins, sinon b e aux, du moins assez bien four nis et p oint tr op mal dé corés
à l’étalag e , nouv e autés, mer ceries, b oucheries quasi-co quees et char
cuteries essayant de rir e un brin, foisonnent dans la r ue des D ames. D es
bur e aux de tabac, quelques librair es et plusieur s cafés très anciens mêlent
leur sup erflu bien mo deste , au confortable qui fait la gloir e des ménagèr es
et la sé curité b our g e oise des habitants de cee étr oite , humide , inter
minable artèr e princip ale des Batignolles pr opr ement dites. D e nombr euses
crémeries à l’usag e des emplo yés p auv r es et des ouv rier s célibatair es du
quartier , complètent cee phy sionomie qu’ on v oudrait cr oir e pr o vinciale ,
n’étaient telle lacune dans la b onhomie , tel manque de naïv eté forte , telle
néglig ence , telle br utalité , telle ignorance bien faub ourienne , comme une
enseigne prise à un r oman qui fut à la mo de , comme l’affichag e d’une
ordur e de plume ou de cray on dont Paris seul encor e ne r ougit p oint, comme
ce je ne sais quoi de trivial et de pr o visoir e qui gâte à Paris et dans ses
envir ons immé diats toute installation de mo deste imp ortance .
A u coin de la r ue des D ames et d’une des r ues qui ab outissent sur le
b oule vard des Batignolles se tr ouv e une assez grande épicerie . Le mag
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sin s’ ouv r e à l’angle même de la maison dont l’ entré e p our les lo catair es
donne sur la r ue transv er sale . Les b oiseries e xtérieur es sont p eintes en
jaune foncé r ehaussé de filets br uns ; le mot « denré es » en gr os
caractèr es noir s sur monte la p artie du mag asin situé e sur la r ue des D ames,
les syllab es « colo » continuent cee enseigne au-dessus de la p orte
vitré e d’ entr e les deux r ues, et la désinence « niales » l’achè v e dans la r ue
transv er sale . La raison so ciale « Eugène Coste aux, Le cler cq successeur »,
s’étalait il y a un p eu plus de deux ans en deux lignes de ler es r oug es
imitant l’é critur e anglaise sur les baants vitrés de la p orte d’ entré e du
mag asin. Le nom « Le cler cq » était rép été , seul cee fois, sur la dalle de
marbr e blanc et bleu du seuil étr oit qui s’allong e entr e deux hauts vitrag es
grillés à hauteur d’homme . Un p aillasson pré cède immé diatement la p orte
dont le baant r esté libr e s’ ouv r e en de dans. Le mag asin est bas de
plafond. Son plancher r este p oussiér eux bien que balayé plusieur s fois p ar
jour et ar r osé tous les matins ab ondamment, mais il vient tant de monde
et la r ue est si sale !
A l’ép o que dont il s’agit, deux g ar çons r e vêtus de la longue blouse
grise de l’ emploi, faisaient le ser vice sous la dir e ction très activ e du p atr on
et de la p atr onne . Ceux-ci, de bien brav es g ens quelconques, tout à leur
mag asin qu’ils tenaient d’un oncle au mari, mort sans enfants, il y avait
une vingtaine d’anné es, étaient originair es de Saint-D enis, où leur s
ascendants avaient vé cu de pèr e en fils du même commer ce d’épiceries, e x er cé
en tout p etit. C’étaient donc des Parisiens de race et d’habitudes, qui ne
sortaient jamais, la femme et la fille , que p our aller à une messe basse le
Dimanche , le ménag e qu’aux jour s de réjouissance nationale ou de telles
grandes fêtes p arisiennes comme l’ Assomption et Noël, p our v oir les
illuminations ou les baraques du b oule vard, ou fair e hor s des fortifications,
jusqu’aux pr emièr es maisons de Clichy et de Saint-Ouen, un tour dans ce
qu’ on app elle la camp agne chez les p etites g ens de Paris. Le Sp e ctacle , si
cher à tout ce qui pr o vient de la grande ville ou qui vit d’ elle , leur était
p our ainsi dir e inconnu, ainsi qu’il ar riv e ( ar r riv e ) d’ailleur s très souv ent
aux b outiquier s b esoigneux ou simplement sérieux, comme on dit dans
ce monde-là . Mais ils de vaient à leur origine p arisienne comme à l’
obstination de leur vie dans ce p ourtour de la capitale , de p artag er av e c leur s
concito y ens le préjug é , pr esque la vénération du éâtr e , de ses choses
4Louise Le cler c q Chapitr e I
et de ses hommes. Ils r e ce vaient le Petit Journal et en colle ctionnaient les
feuilletons qu’ils prêtaient à des v oisins et qui ne r entraient p as toujour s
aussi e x actement qu’il eût fallu p our bien fair e . L’ép ar gne la plus stricte
sans tr op d’ e x ag ération toutefois présidait à leur s dép enses de ménag e .
Une nour ritu