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P A U L V ERLAI N E
LES MÉMOI RES D’U N
V EU F
BI BEBO O KP A U L V ERLAI N E
LES MÉMOI RES D’U N
V EU F
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1166-9
BI BEBO OK
w w w .bib eb o ok.comLicence
Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
distribuer , l’ env o y er à v os amis. V ous êtes d’ailleur s
encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.I
QU ELQU ES-U NS DE MES
RÊV ES
’ aussi minutieusement que p ossible
quelquesuns de mes rê v es de chaque nuit, ceux, bien entendu, qui m’ en p a-J raissent dignes p ar leur allur e ar rêté e ou p ar leur é v olution dans
une atmosphèr e quelque p eu r espirable à des g ens ré v eillés.
Je v ois souv ent Paris.. Jamais comme il est. C’ est une ville inconnue ,
absurde et de tous asp e cts. Je l’ entour e d’une rivièr e étr oite très encaissé e
entr e deux files d’arbr es quelconques. D es toits r oug es luisent entr e des
v erdur es très v ertes. Il fait un lourd temps d’été , av e c de gr os nuag es e
xtrêmement foncés, à ramag es, comme dans les ciels des p ay sag es
historiques, et du soleil des plus jaunes à trav er s. Un p ay sag e p ay san, v ous
v o y ez. Pourtant, quand je jee les y eux du côté de la ville , sur l’autr e
riv e , il y a encor e des maisons, cour s et cités où sè chent des ling es et d’ où
p artent des v oix, les hor ribles maisons de plâtr e du v rai Paris suburbain,
1Les mémoir es d’un v euf I
qui rapp ellent assez la plaine Saint-Ouen et toute cee r ue militair e du
Nord, mais plus clair semé e en plus d’accidents. J’ai toujour s p eur p ar là ,
et ça y sent la tradition d’aaques no ctur nes et autr es. Serait-ce une tr op
vague réminiscence d’un canal Saint-Martin fantomatique ?
Je ne sais comment on p énètr e dans la ville pr opr ement dite et c’ est sans
transition que me v oici sur tr ois places successiv es, toutes la même , p
etites, car ré es, maisons blanches à ar cades. Sur le tr ooir et sur la chaussé e
p as un chat qu’un commissionnair e qui, je ne sais p our quoi, me p arle et
me montr e du doigt la plaque indicatrice au coin d’une des places. Il rit,
tr ouv e ça bête , je ne me souviens plus à quel pr op os, et j’ oublie le nom
de la place que j’ai p ourtant lu. Il m’indique l’ambassade d’ Angleter r e
où je me r ends. C’ est sur une place dans une des maisons basses à
arcades. Un gr enadier r oug e monte la g arde : b onnet à p oil sans rien après,
plumes, co carde ni o rè v r eries. Courte tunique à p ar ements blancs, p
antalon noir à liséré r oug e mince . J’ entr e , je gravis un escalier officiel de
granit blanc à haute ramp e . Sur les mar ches et sur la ramp e sont assis ou
couchés et vautrés des Écossais et des Écossaises en p oses plus ou moins
abandonné es. A l’ espè ce d’ entr esol où mène l’ escalier , la scène chang e ou
plutôt s’accentue . O de quelle bizar r e sorte ! C’ est une façon de cor ps de
g arde : des ar mes brillantes rang é es en un coin, et sur les lits de camp
et sur le p ar quet de dalles. Pr esque nus, toujour s av e c quelque p artie
caractéristique de costume , la to que à plume d’aigle , la courte jup e rayé e
v ert et r oug e , ou les br o de quins, hommes et femmes, chastes et si blancs,
si lestes ! se meuv ent en de fier s jeux, en des badinag es courag eux que
scandent fraîchement ces rir es à b elles dents, ces chansons à tue-tête de
leur s montagnes. . .
La vision se p erd dans un demi-ré v eil, et le sommeil me r etr ouv e ar p
entant à toutes jamb es une de ces r ues nouv elles et non p as neuv es, v ous
sav ez ? lar g es, à p eine bâties, p as p avé es p ar endr oits, sans b outiques,
et qui p ortent des noms d’ entr epr eneur s en ier ou en ard : p oussièr e de
plâtr e et p oussièr e de sable ; les v olets et les vitr es des maisons, le br onze
et le v ert des ré v erbèr es et toutes choses y ont cet air mal essuyé qui
ag ace les dents de de vant et qui fait fr oid au b out des ongles. Elle monte ,
cee r ue , et la cause de ma hâte est un enter r ement que je suis, en
comp agnie de mon pèr e , mort lui-même depuis longtemps et que mes rê v es
2Les mémoir es d’un v euf I
me r eprésentent pr esque constamment. Je me serai sans doute ar rêté à
quelque achat de cour onne ou de fleur s, car je ne v ois plus le corbillard
qui a dû tour ner au haut de la r ue dans une étr oite av enue qui coup e à
dr oite . A dr oite et non à g auche . A g auche ce sont des « ter rains vagues »
av e c des dos et des flancs de hautes maisons de rapp ort tout au der nier
plan, hideuse p er sp e ctiv e ! — Mon pèr e me fait signe d’aller plus vite et
je l’ai bientôt rarap é . Une lacune d’une se conde dans ma mémoir e me
laisse ignor er comment nous sommes grimp és, — et où ? — sur l’imp ériale
d’une v oitur e qui va sur rails sans que l’ag ent de lo comotion soit
aucunement app ar ent. ’ est-ce que cee v oitur e ? D e vant nous, filant sur
des rails av e c une allur e de punaises, v ont des b oîtes oblongues, hautes
d’ envir on deux mètr es, p eintes en bleu clair sali : elles contiennent les
cer cueils et c’ est un train p our le cimetièr e . Je sais cela, c’ est conv enu, ce
sy stème fonctionne il y a b e au temps. L’av enue oblique toujour s, à dr oite .
D e grandes tranché es dans de la ter r e glaise bâillent, v ertes et jaunes, p ar
couches. D es ter rassier s appuyés sur leur s outils nous r eg ardent filer , le
train des morts et nous. Ces hommes sont grisâtr es sur l’air grisâtr e . Il
fait fr oid. On doit êtr e en no v embr e . Nous r oulons toujour s.
Et en v oici bien d’une autr e !
Un mar ché en plein v ent sur un plan incliné . En lar g e . Une centaine
de places. Be aucoup de gr ouillement. La rapidité e xtraordinair e de notr e
cour se br ouille un p eu les objets et les faces, en même temps que le r
onflement des r oues sur les rails couv r e tous br uits, p as et v oix. Mais l’
odeur nous assaille , court av e c nous, tourbillonne et dé vale , l’ o deur fade
et grasse des char cuteries du Siège , des pâtisseries et des confiseries
anglaises là débité es et dont les for mes, — p ains de graisses r oses et jaunes,
bandes de caramel r oug e à demi fondu que piquent des moitiés d’amandes
rances, tas violet de g elé es innommé es et de g alantines innommables,
amoncellement p oussiér eux de French-rocks , tea and coffee cakes et
muffins avariés, — tour noient, s’ effilent, s’é vap or ent dans la distance alacr
ement accr ue et dans les br ouillards du rê v e qui s’ efface .
Du cimetièr e — où ne me mène p as la vision pré cé dente , — j’ai deux
asp e cts bien différ ents.
D es fois, p ar un grand v ent de pluie , v er s le coucher du soleil, pr essé
d’ar riv er quelque p art é videmment, et p eu soucieux d’ e x aminer autour ,
3Les mémoir es d’un v euf I
je trav er se à grands p as une haute allé e flanqué e , sur un côté , de tomb es,
d’arbr es dé che v elés et de grandes herb es frissonnantes, tandis que v er s
l’autr e b ord se cr euse une vallé e dont les arbr es, — des arbr es de forêt
— hêtr es, chênes et frênes, — viennent fair e g émir et craquer leur s cîmes
juste à ma hauteur , et où, entr e l’ ombr e du soir et celle des ramur es, luisent
des cipp es, des ur nes et des cr oix.
D’autr es fois, il est dix heur es d’un matin d’été cha