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ST EN DHAL
LE ROSE ET LE V ERT
BI BEBO O KST EN DHAL
LE ROSE ET LE V ERT
1927
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1152-2
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
¹ la fin de 183ø que le g énéral major comte v on Landek
r e vint à K œnigsb er g sa p atrie ; depuis bien des anné es il étaitC emplo yé dans la diplomatie pr ussienne . En ce moment, il ar
rivait de Paris. C’était un assez b on homme qui autr efois, à la guer r e , avait
montré de la brav our e , maintenant il avait p eur à p eu près constamment,
il craignait de n’êtr e p as p ossesseur de tout l’ esprit que communément
l’ on cr oit né cessair e au rôle d’ambassadeur , — M. de T alle y rand a gâté
le métier , — et de plus il s’imaginait fair e pr euv e d’ esprit en p arlant sans
cesse . Le g énéral v on Landek avait un se cond mo y en de se distinguer ,
c’était le p atriotisme ; p ar e x emple , il de v enait r oug e de colèr e toutes les fois
qu’il r encontrait le souv enir d’Iéna. D er nièr ement, à son r etour à K
œnigsb er g, il avait fait un détour de plus de tr ente lieues p our é viter Br eslau,
p etite ville où un cor ps d’ar mé e pr ussien avait mis bas les ar mes de vant
quelques détachements de l’ar mé e française , jadis, à l’ép o que d’Iéna.
Pour ce brav e g énéral, p ossesseur légitime de sept cr oix et de deux
1Le r ose et le v ert Chapitr e I
crachats, l’amour de la p atrie ne consistait p oint à cher cher à r endr e la
Pr usse heur euse et libr e , mais bien à la v eng er une se conde fois de la
dér oute fatale que déjà nous av ons nommé e .
Les ré cits infinis du g énéral eur ent un succès rapide dans la so ciété de
K œnigsb er g. T out le monde v oulait l’ entendr e raconter Paris. C’ est une
ville d’ esprit que K œnigsb er g, je la pr o clamerais v olontier s la capitale de
la p ensé e en Allemagne ; les Français n’y sont p oint aimés, mais si on
nous fait l’honneur de nous haïr , en r e vanche on méprise souv
erainement tous les autr es p euples de l’Eur op e , et de préfér ence , à ce que j’ai
r emar qué , ceux dont les qualités se rappr o chent des b onnes qualités des
Allemands.
Per sonne n’ eût é couté un v o yag eur ar rivant de Vienne ou de Madrid
et l’ on accablait de questions le tr op heur eux bavard v on Landek. Les
plus jolies femmes, et il y en a de char mantes en ce p ay s-là , v oulaient
sav oir comment était fait le b oule vard des Italiens, ce centr e du monde ;
de quelle façon les T uileries r eg ardent le p alais du Louv r e , si la Seine p orte
des bâtiments à v oiles, comme la Vistule , et surtout si p our aller fair e une
visite le soir , à une femme , il faut absolument av oir r e çu d’ elle le matin
une p etite carte annonçant qu’ elle sera chez elle ce soir-là .
Le g énéral quoique p arlant sans cesse ne mentait p oint, c’était un
bavard à l’allemande . Il ne cher chait p as tant à fair e effet sur ses auditeur s
qu’à se donner le plaisir p o étique de se souv enir av e c élo quence des b elles
choses qu’il avait v ues autr efois dans ses v o yag es. Cee habitude de ne
jamais mentir p our fair e effet préser vait ses ré cits de la monotonie si
souv ent r epr o ché e à nos g ens d’ esprit, et lui donnait un g enr e d’ esprit.
Il était tr ois heur es du matin, le bal du banquier Pier r e W anghen, le
plus riche de la ville , était encombré p ar une foule énor me ; il n’y avait
aucune place p our danser , et cep endant tr ois cents p er sonnes au moins
valsaient en même temps. La vaste salle , é clairé e de mille b ougies et
orné e de deux cents p etits mir oir s, présentait p artout l’imag e d’une g aîté
franche et b onne . Ces g ens-là étaient heur eux et p our le moment ne
song e aient p as uniquement comme chez nous à l’ effet qu’ils pr o duisaient
sur les autr es. Il est v rai que les plaisir s de la musique se mêlaient à l’
entraînement de la danse : le fameux Hartb er g, la pr emièr e clarinee du
monde , avait consenti à jouer quelques valses. Ce grand artiste daignait
2Le r ose et le v ert Chapitr e I
descendr e des hauteur s sublimes du concerto ennuy eux. Pier r e W anghen
avait pr esque pr omis, à l’inter cession de sa fille Mina, de lui prêter les
cent louis né cessair es p our aller à Paris se fair e une réputation, car dans
les arts on p eut bien av oir du mérite ailleur s, mais ce n’ est qu’à Paris qu’ on
se fait de la gloir e . T out cela uniquement p ar ce qu’à Paris l’ on dit et l’ on
imprime ce qu’ on v eut ² .
Mina W anghen, l’unique héritièr e de Pier r e et la plus jolie fille de
K œnigsb er g comme lui en était le plus riche banquier , avait été prié e
à danser p ar huit ou dix jeunes g ens d’une tour nur e p arfaite , à
l’allemande s’ entend, c’ est-à-dir e av e c de grands che v eux blonds, tr op longs,
et un r eg ard aendri ou ter rible . Mina é coutait les ré cits du g énéral. Elle
laissa p asser le p etit av ertissement de l’ or chestr e ; Hartb er g commençait
sa se conde valse qui était ravissante . Mina n’y faisait aucune aention.
Le jeune homme qui avait obtenu sa pr omesse se tenait à deux p as d’ elle ,
tout étonné . Enfin, elle se souvint de lui et un p etit signe de la main l’av
ertit de ne p as inter r ompr e ; le g énéral dé crivait le magnifique jet d’ e au de
Saint-Cloud qui s’élance jusqu’au ciel, la chute v er s le vallon de la Seine
de ces char mants cote aux ombrag és de grands arbr es, site délicieux et qui
n’ est qu’à une p etite heur e du théâtr e de l’Op éra Buffa. Oser ons-nous le
dir e , c’était cee der nièr e imag e qui faisait tout oublier à Mina. En Pr usse
on a bien de vastes forêts, forêts très b elles et fort pior esques, mais à une
lieue de ces forêts-là , il y a de la barbarie , de la misèr e , de la pr udence
indisp ensable , sous p eine de destr uction. T outes choses tristes, gr ossièr es,
inguérissables, et qui donnent l’amour des salons dorés.
Le se cond valseur ar riva bientôt tout r oug e de b onheur ; il avait v u
p asser tous les couples, Mina ne dansait p as ; quelque chose s’était
opp osé à ce qu’ elle donnât la main à son pr emier p artner ; il avait quelque
esp oir de danser av e c elle , il était iv r e de joie . Mina lui apprit p ar quelques
p ar oles brè v es et distraites qu’ elle était fatigué e et ne danserait plus. D ans
ce moment le g énéral disait b e aucoup de mal de la so ciété française
comp osé e d’êtr es se cs chez lesquels le plaisir de montr er de l’ir onie étouffe le
b onheur d’av oir de l’ enthousiasme et qui ont bien osé fair e une b
ouffon2. Cee der nièr e phrase est bar ré e d’un trait de cray on et Stendhal au-dessus a é crit :
Pédant. N.D .L.E.
3Le r ose et le v ert Chapitr e I
nerie du sublime r oman de W erther , le chef-d’ œuv r e allemand du X V I I I ᵉ
siè cle . En pr ononçant ces p ar oles le g énéral r ele vait la tête fièr ement.
« Ces Français, ajoutait-il, ne sortent jamais d’une ir onie dégradante p our
un homme d’honneur . Ces g ens-là ne sont p as nés p our les b e aux
sentiments qui éle ctrisent l’âme , p