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ÉMI LE ZOLA
LE RÊV E
BI BEBO O KÉMI LE ZOLA
LE RÊV E
1888
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0250-6
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.CHAP I T RE I
hiv er de 1860, l’Oise g ela, de grandes neig es
couv rir ent les plaines de la basse Picardie ; et il en vint surtoutP une b our rasque du nord-est, qui ense v elit pr esque Be aumont, le
jour de la Noël. La neig e , s’étant mise à tomb er dès le matin, r e doubla v er s
le soir , s’amassa durant toute la nuit. D ans la ville haute , r ue des Orè v r es,
au b out de laquelle se tr ouv e comme enclavé e la façade nord du transept
de la cathé drale , elle s’ eng ouffrait, p oussé e p ar le v ent, et allait bar e la
p orte Sainte- Agnès, l’antique p orte r omane , pr esque déjà g othique , très
or né e de sculptur es sous la nudité du pignon. Le lendemain, à l’aub e , il y
en eut là près de tr ois pie ds.
La r ue dor mait encor e , emp ar essé e p ar la fête de la v eille . Six heur es
sonnèr ent. D ans les ténèbr es, que bleuissait la chute lente et entêté e des
flo cons, seule une for me indé cise vivait, une fillee de neuf ans, qui,
réfugié e sous les v oussur es de la p orte , y avait p assé la nuit à gr eloer ,
en s’abritant de son mieux. Elle était vêtue de lo ques, la tête env elopp é e
1Le rê v e Chapitr e I
d’un lamb e au de foulard, les pie ds nus dans de gr os soulier s d’homme .
Sans doute elle n’avait é choué là qu’après av oir longtemps bau la ville ,
car elle y était tombé e de lassitude . Pour elle , c’était le b out de la ter r e ,
plus p er sonne ni plus rien, l’abandon der nier , la faim qui r ong e , le fr oid
qui tue ; et, dans sa faiblesse , étouffé e p ar le p oids lourd de son cœur , elle
cessait de luer , il ne lui r estait que le r e cul phy sique , l’instinct de chang er
de place , de s’ enfoncer dans ces vieilles pier r es, lor squ’une rafale faisait
tourbillonner la neig e .
Les heur es, les heur es coulaient. Longtemps, entr e le double vantail
des deux baies jumelles, elle s’était adossé e au tr ume au, dont le pilier
p orte une statue de sainte Agnès, la marty r e de tr eize ans, une p etite fille
comme elle , av e c la p alme et un agne au à ses pie ds. Et, dans le ty mp an,
au-dessus du linte au, toute la lég ende de la vier g e enfant, fiancé e à Jésus,
se dér oule , en haut r elief, d’une foi naïv e : ses che v eux qui s’allongèr ent
et la vêtir ent, lor sque le g ouv er neur , dont elle r efusait le fils, l’ env o ya nue
aux mauvais lieux ; les flammes du bûcher qui, s’é cartant de ses membr es,
brûlèr ent les b our r e aux, dès qu’ils eur ent allumé le b ois ; les miracles de
ses ossements, Constance , fille de l’ emp er eur , guérie de la lèpr e , et les
miracles d’une de ses figur es p eintes, le prêtr e Paulin, tour menté du b esoin
de pr endr e femme , présentant, sur le conseil du p ap e , l’anne au or né d’une
émeraude à l’imag e , qui tendit le doigt, puis le r entra, g ardant l’anne au
qu’ on y v oit encor e , ce qui déliv ra Paulin. A u sommet du ty mp an, dans
une gloir e , Agnès est enfin r e çue au ciel, où son fiancé Jésus l’ép ouse ,
toute p etite et si jeune , en lui donnant le baiser des éter nelles délices.
Mais, lor sque le v ent enfilait la r ue , la neig e foueait de face , des p
aquets blancs menaçaient de bar r er le seuil ; et l’ enfant, alor s, se g arait
sur les côtés, contr e les vier g es p osé es au-dessus du stylobate de
l’ébrasement. Ce sont les comp agnes d’ Agnès, les saintes qui lui ser v ent d’
escorte : tr ois à sa dr oite , D or othé e , nour rie en prison de p ain miraculeux,
Barb e , qui vé cut dans une tour , Gene viè v e , dont la vir ginité sauva Paris ;
et tr ois à sa g auche , Ag athe , les mamelles tordues et ar raché es,
Christine , torturé e p ar son pèr e , et qui lui jeta de sa chair au visag e , Cé cile ,
qui fut aimé e d’un ang e . A u-dessus d’ elles, des vier g es encor e , tr ois rangs
ser rés de vier g es montent av e c les ar cs des clav e aux, g ar nissent les tr ois
v oussur es d’une floraison de chair s triomphantes et chastes, en bas
mar2Le rê v e Chapitr e I
ty risé es, br o yé es dans les tour ments, en haut accueillies p ar un v ol de
chér ubins, ravies d’ e xtase au milieu de la cour céleste .
Et rien ne la pr otég e ait plus, depuis longtemps, lor sque huit heur es
sonnèr ent et que le jour grandit. La neig e , si elle ne l’ eût foulé e , lui
serait allé e aux ép aules. L’antique p orte , der rièr e elle , s’ en tr ouvait
tapissé e , comme tendue d’her mine , toute blanche ainsi qu’un r ep osoir , au bas
de la façade grise , si nue et si lisse , que p as un flo con ne s’y accr o chait.
Les grandes saintes de l’ébrasement surtout en étaient vêtues, de leur s
pie ds blancs à leur s che v eux blancs, é clatantes de candeur . P lus haut, les
scènes du ty mp an, les p etites saintes des v oussur es s’ enle vaient en arêtes
viv es, dessiné es d’un trait de clarté sur le fond sombr e ; et cela jusqu’au
ravissement final, au mariag e d’ Agnès, que les ar chang es semblaient
célébr er sous une pluie de r oses blanches. D eb out sur son pilier , av e c sa
p alme blanche , son agne au blanc, la statue de la vier g e enfant avait la
pur eté , le cor ps de neig e immaculé , dans cee raideur immobile du
fr oid, qui glaçait autour d’ elle le my stique élancement de la vir ginité
victorieuse . Et, à ses pie ds, l’autr e , l’ enfant misérable , blanche de neig e , elle
aussi, raidie et blanche à cr oir e qu’ elle de v enait de pier r e , ne se distinguait
plus des grandes vier g es.
Cep endant, le long des façades endor mies, une p er sienne qui se
rabait en claquant lui fit le v er les y eux. C’était, à sa dr oite , au pr emier
étag e de la maison qui touchait à la cathé drale . Une femme , très b elle ,
une br une forte , d’ envir on quarante ans, v enait de se p encher là ; et,
malgré la g elé e ter rible , elle laissa une minute son bras nu dehor s, ayant v u
r emuer l’ enfant. Une sur prise apito yé e arista son calme visag e . Puis,
dans un frisson, elle r efer ma la fenêtr e . Elle emp ortait la vision rapide ,
sous le lamb e au de foulard, d’une g amine blonde , av e c des y eux couleur
de violee ; la face allong é e , le col surtout très long, d’une élég ance de
lis, sur des ép aules tombantes ; mais bleuie de fr oid, ses p etites mains et
ses p etits pie ds à moitié morts, n’ayant plus de vivant que la bué e légèr e
de son haleine .
L’ enfant, machinale , était r esté e les y eux en l’air , r eg ardant la
maison, une étr oite maison à un seul étag e , très ancienne , bâtie v er s la fin du
quinzième siè cle . Elle se tr ouvait scellé e au flanc même de la cathé drale ,
entr e deux contr eforts, comme une v er r ue qui aurait p oussé entr e les deux
3Le rê v e Chapitr e I
doigts de pie d d’un colosse . Et, accoté e ainsi, elle s’était admirablement
conser vé e , av e c son soubassement de pier r e , son étag e en p ans de b ois,
g ar nis de briques app ar entes, son comble dont la char p ente avançait d’un
mètr e sur le pignon, sa tour elle d’ escalier saillante , à l̵