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P I ERRE LO T I
LE LI V RE DE LA
P I T I É ET DE LA
MORT
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
LE LI V RE DE LA
P I T I É ET DE LA
MORT
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1098-3
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.MA MÈRE
Je dé die ce liv r e ,A Sans crainte , p ar ce que la foi chrétienne lui p er met de lir e av e c
sérénité les plus sombr es choses.
n
1A V ERT ISSEMEN T DE
L’A U T EU R
« Ah ! insensé qui cr ois que tu n’ es p as moi. »
V . H UGO . ( Les Contemplations.)
Ce liv r e est encor e plus moi que tous ceux que j’ai é crits jusqu’à ce
jour .
Il r enfer me même un long chapitr e ( le neuvième , p ag es 619 à 655) que
je n’ai consenti à liv r er à aucune r e v ue , de p eur qu’il ne tombât sous les
y eux de g ens quelconques, sans que j’aie pu les av ertir .
D’ab ord, je v oulais ne p as publier ce p assag e . Mais j’ai song é à mes
amis inconnus : un seul mouv ement de leur sy mp athie lointaine , je r
egr eerais tr op de m’ en priv er . . . Et puis j’ai toujour s cee impr ession que ,
dans l’ esp ace et dans la duré e , je r e cule les limites de mon âme en la
mêlant un p eu aux leur s ; quelques instants de plus, après que j’aurai p assé ,
la mémoir e de ces frèr es g ardera p eut-êtr e vivantes de chèr es imag es que
j’y aurai gravé es.
Ce b esoin de luer contr e la mort est d’ailleur s — après le désir de
fair e quelque bien si l’ on s’ en cr oit cap able — la seule raison immatérielle
que l’ on ait d’é crir e .
2Le liv r e de la pitié et de la mort Chapitr e
Par mi ceux qui font pr ofession d’ étudier les œuv r es de leur pr o chain,
il en est b on nombr e av e c lesquels je n’ai rien de commun, ni les idé es
ni le lang ag e . Moins que jamais je me sens cap able d’ir ritation contr e
eux, tant j’ai appris à tenir compte , avant de jug er les autr es hommes, des
différ ences natur elles ou acquises.
Mais cee fois est la pr emièr e où leur g ouaillerie aurait quelque
chance de m’êtr e p énible , si elle p ar v enait jusqu’à moi, p ar ce qu’ elle
p our ra p orter sur des choses et des êtr es qui me sont sacrés ; je leur donne
v raiment la p artie b elle en publiant ce liv r e . A ussi vais-je essay er de leur
dir e ici : faites-moi donc la grâce de ne p as le lir e , il ne contient rien qui
soit p our v ous, — et il v ous ennuiera tant, si v ous saviez !. . .
n
3CHAP I T RE I
RÊV E
une langue à p art, dans laquelle p our raient
s’é crir e les visions de mes sommeils. and j’ essaie av e c les motsJ ordinair es, je n’ar riv e qu’à constr uir e une sorte de ré cit g auche
et lourd, à trav ers le quel ceux qui me lisent ne doiv ent assurément rien
v oir ; moi seul, je puis distinguer encor e , der rièr e l’à peu près de ces mots
accumulés, l’insondable abîme .
Il p araît que les rê v es, même ceux qui nous semblent les plus longs,
n’ ont qu’une duré e à p eine appré ciable , rien que ces instants toujour s très
fugitifs où l’ esprit floe entr e la v eille et le sommeil ; mais nous sommes
tr omp és p ar l’ e x cessiv e rapidité av e c laquelle leur s mirag es se succèdent
et chang ent ; ayant v u p asser tant de choses, nous disons : j’ai rê vé toute
une nuit, quand à p eine av ons-nous rê vé p endant une minute .
††
La vision dont je vais p arler n’a p eut-êtr e p as eu comme duré e ré elle ,
plus de quelques se condes, car elle m’a p ar u à moi-même fort courte .
4Le liv r e de la pitié et de la mort Chapitr e I
La pr emièr e imag e s’ est é clairé e en deux ou tr ois fois, p ar saccades
légèr es, comme si, der rièr e un transp ar ent, on r emontait p ar p etites
secousses la flamme d’une lamp e .
D’ab ord une lueur indé cise , de for me allong é e , — airant l’aention
de mon esprit au sortir du plein sommeil, de la nuit et du non-êtr e .
Puis la lueur de vient une traîné e de soleil, entrant p ar une fenêtr e
ouv erte et s’étalant sur un plancher . En même temps, mon aention, plus
e x cité e , s’inquiète tout à coup : vague r essouv enir de je ne sais quoi, pr
essentiment rapide comme l’é clair de quelque chose qui va me r emuer
jusqu’au fond de l’âme .
Cela se pré cise : c’ est le ray on d’un soleil du soir v enant d’un jardin
sur le quel cee fenêtr e donne ; — jardin e x otique où, sans les av oir v us, je
sais à présent qu’il y a des manguier s. D ans cee traîné e lumineuse sur
le plancher , l’ ombr e d’une plante qui est dehor s, se dé coup e et tr emble
doucement, — l’ ombr e d’un bananier . . .
Et maintenant les p arties r elativ ement obscur es s’é clair ent ; — dans la
p énombr e , les objets se dessinent, — et je v ois tout, av e c un ine xprimable
frisson !
Rien que de très simple p ourtant ; un p etit app artement dans quelque
maison coloniale , aux mur s de b ois, aux chaises de p aille . Sur une console ,
une p endule du temps de Louis X V , dont le balancier tinte imp er
ceptiblement. Mais j’ai déjà v u tout cela et j’ai conscience de l’imp ossibilité où
je suis de me rapp eler où, et je m’agite av e c ang oisse der rièr e cee sorte
de v oile ténébr eux qui est tendu à un p oint donné dans ma mémoir e ,
arrêtant les r eg ards que je v oudrais pr olong er au delà , dans je ne sais quel
r e c ul plus pr ofond.
. . . C’ est bien le soir , c’ est bien la lueur doré e d’un soleil qui va
s’éteindr e , — et les aiguilles de la p endule Louis X V mar quent six heur es. . .
Six heur es de quel jour à jamais p erdu dans le g ouffr e éter nel ? de quel
jour , de quel anné e lointaine et disp ar ue ?
Ces chaises ont aussi un air ancien. D ans l’une d’ elles est p osé un lar g e
chap e au de femme , en p aille blanche , d’une for me démo dé e depuis plus
de cent ans. Mes y eux s’y ar rêtent et alor s l’indicible frisson me se coue
plus fort. . . La lumièr e baisse , baisse ; maintenant, c’ est à p eine l’é clairag e
tr ouble des rê v es ordinair es. . . Je ne compr ends p as, je ne sais p as, — mais,
5Le liv r e de la pitié et de la mort Chapitr e I
malgré tout, je sens que j’ai été au courant des choses de cee maison et de
la vie qui s’y mène , cee vie plus mélancolique et plus, e xilé e des colonies
d’autr efois, alor s que les distances étaient plus grandes et les mer s plus
inconnues.
Et tandis que je r eg arde ce chap e au de femme , qui s’ efface p eu à p eu,
comme tout ce qui est là , dans des gris crépusculair es, cee réfle xion me
vient, faite en ma tête p ar un autr e que p ar moi-même : « Alor s, c’ est
qu’ elle est r entré e . »
― En effet, ELLE app araît. Elle, der rièr e moi, sans que je l’aie entendue
v enir ; elle, r estant dans la p artie obscur e , dans le fond de l’app artement
où ce r eflet de soleil n’ar riv e p as ; elle, très vague comme une esquisse
tracé e en couleur s mortes sur de l’ ombr e grise .
Elle, très jeune , cré ole , nu-tête av e c des b oucles noir es disp osé es
autour du fr ont d’