316
pages
Français
Documents
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe Tout savoir sur nos offres
316
pages
Français
Documents
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe Tout savoir sur nos offres
P I ERRE LO T I
F LEU RS D’EN N U I
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
F LEU RS D’EN N U I
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1091-4
BI BEBO OK
w w w .bib eb o ok.comLicence
Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
Except where otherwise noted, this work is licensed under
h tt p : / / c r e a ti v e c o m m on s . or g / l i c e n s e s / b y - s a / 3 . 0 /
Lir e la licence
Cee œuv r e est publié e sous la licence CC-BY -SA, ce qui
signifie que v ous p ouv ez lég alement la copier , la r e
distribuer , l’ env o y er à v os amis. V ous êtes d’ailleur s
encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.Pr emièr e p artie
F LEU RS D’EN N U I
1NO T E DE L’ÉDI T EU R
le cteur s qui ont lu le Mariage de Loti se rapp eller ont
p eut-êtr e le nom de Plumke, l’ami et le confident de Loti, leC comp agnon de ses v o yag es. P lumk e, p as plus que Loti, n’ est
une fiction. C’ est à P lumk e que Loti, soucieux de la valeur de ses œuv r es,
soumet en pr emier lieu le travail qu’il vient d’ache v er . Loti a foi dans le
jug ement de P lumk e ; mais s’il accepte les critiques de son ami, et s’y
confor me souv ent, ce n’ est p as toujour s sans résister , sans défendr e pie d
à pie d le p assag e incriminé . C’ est chose curieuse qu’un manuscrit de Loti
ré visé p ar P lumk e ; les obser vations, les réfle xions, les rép onses s’
enchevêtr ent au hasard de la dispute liérair e des deux amis, criblant le te xte de
notes, le zébrant de lignes noir es, r oug es ou bleues, en une sav eur d’ esprit
aussi originale d’un côté que de l’autr e . D e cet é chang e de p ensé es, p
erdues av e c les feuillets de la copie , est v enue l’idé e d’une collab oration à
une œuv r e commune ; non une de ces collab orations où le temp érament
de chacun disp araît dans l’unité de l’ ensemble ; Loti et P lumk e ont v oulu
conser v er leur p er sonnalité , laisser dans leur ouv rag e la mar que
distinctiv e de leur natur e . Fleurs d’ennui est donc un liv r e double , dans le quel
chaque auteur app orte à l’action son fair e p articulier , ses idé es p er
sonnelles et les tendances instinctiv es de son individualité .
2F leur s d’ ennui Chapitr e
n
3CHAP I T RE I
LUMK ET T . — M cher Loti, on dit que les bêtes ont une âme :
donc, v ous et moi de v ons av oir quelque chose dans ce g enr e-là .P Nos deux âmes, — puisqu’il est admis que nous en p ossé dons
chacun une , — ne sont p as sœur s, mais cousines g er maines p ar l’ ennui ;
ce n’ est p as d’hier , v ous le sav ez, que nous av ons dé couv ert cee p ar enté .
L’idé e me vient d’ or g aniser une p etite réunion de famille , et de fair e
un p etit b ouquet de v otr e ennui et du mien : je v ous env er rai des œillets
d’Inde , et v ous y rép ondr ez p ar des pissenlits. — (ant aux p ensé es, ce
sont des fleur s que nous ne connaissons plus guèr e .) — Cela v ous va-t-il ?
Moi, je me débiterai en aphorismes, instr uctifs p our la masse ; v ous,
v ous fer ez ce que v ous p our r ez : v ous é crir ez d’une manièr e quelconque
des choses quelconques, n’imp orte quoi ; v ous conter ez v os rê v es si v ous
v oulez. Un sag e de l’antiquité a émis cet axiome : « Il est bien difficile
d’êtr e plus bête que les autr es. » Pénétr ez-v ous de cee vérité , et allez-y
de confiance !
4F leur s d’ ennui Chapitr e I
LO T I. — Je commence p ar un rê v e :
J’étais tout en haut du clo cher du Cr eizk er ; Y v es était assis près
de moi, sur la tête d’une g ar g ouille de granit. Les lointaines ( lointains)
vagues du p ay s de Lé on se dér oulaient en bas sous nos pie ds, dans le
demi-jour plein de my stèr e qui é clair e les visions du sommeil.
C’était l’hiv er et la lande br etonne était noir e . — A l’horizon, on v o yait
la « mer br umeuse » et les r o cher s de Roscoff s’étag e ant comme dans les
fonds p eints p ar le Vinci.
Je disais à Y v es : « Il me semble que le clo cher du Cr eizk er a tr emblé . »
Y v es rép ondait : « Mon b on frèr e , comment v oulez-v ous que cela
soit ? » Et il r eg ardait en souriant dans le vide .
J’avais le v ertig e , et je me ser rais contr e cee dentelle de granit qui
nous soutenait dans l’air . A utour de nous il y avait de mer v eilleuses
découpur es de pier r e , et des g arg ouilles à figur e de gnome , aux quelles des
lichens jaunes, — ceux qui dor ent tous les vieux clo cher s de Br etagne , —
faisaient des hupp es et des barbiches de chè v r e . Et la base du clo cher se
p erdait, en fuyants indé cis, en lignes confuses, dans l’ obscurité de la ter r e .
Y v es me p araissait plus grand que de coutume , ses ép aules plus lar g es
encor e et plus athlétiques.
« Y v es, disais-je , je t’assur e que le Cr eizk er a tr emblé . »
. . . En effet, le vieux clo cher des lég endes br etonnes chancelait sur sa
base , nous le sentions s’abîmer ; l’antique dentelle de granit se
désagrég e ait doucement, s’émieait dans l’air , et les débris tombaient. C’étaient
des chutes lentes et molles, comme des chutes d’ objets n’ayant p as de
p oids, et nous tombions nous-mêmes, en cher chant à nous cramp onner à
des choses qui tombaient aussi.
. . . M aintenant nous er rions p ar ter r e , au milieu de dé combr es qui
continuaient de s’émieer et de disp araîtr e . — En tombant, nous ne nous
étions fait aucun mal, — mais nous épr ouvions une ang oisse , p ar ce que le
Cr eizk er n’ e xistait plus.
Nous songions au temps où nous naviguions, Y v es et moi, sur la « mer
br umeuse » : en p assant au lar g e , balloés p ar les grandes houles d’ ouest,
mouillés p ar les embr uns et la pluie , les jour s sombr es d’hiv er , à la tombé e
fr oide et sinistr e des crépuscules, — souv ent dans les nué es grises nous
ap er ce vions de loin les deux clo cher s de l’église de Saint-Pol et le Cr eizk er ,
5F leur s d’ ennui Chapitr e I
p osé près d’ eux sur la falaise , les dominant de toute sa haute statur e de
granit. — and la nuit s’annonçait mauvaise , nous aimions à v oir cet
antique gueeur de mer , qui semblait v eiller sur nous du haut de la falaise
br etonne . A présent, c’était fini, et jamais nous ne le v er rions plus.
Y v es surtout ne p ouvait se consoler de ce que son clo cher fût tombé .
— Moi, je lui disais : « On le r ebâtira » ; mais j’avais conscience de l’ir
rémé diable de cet ané antissement : il était semé sur la ter r e en débris aussi
nombr eux que les g alets des plag es. — L’ œuv r e mer v eilleuse des siè cles
p assés était détr uite , et cela me p araissait un signe fatal des temps ; la fin
de ce g é ant des clo cher s br etons me p araissait le commencement de la
fin de toutes choses, — et je me résignais à v oir tout finir , j’étais comme
r e cueilli dans une aente ap o caly ptique du chaos.
A utour de nous il n’y avait déjà plus aucune trace de la vieille cité de
Saint-Pol, ni de la maison où Y v es est né . Nous étions au milieu de la lande
sombr e et déserte , p ar mi les g enêts et les br uyèr es : la ter r e r epr enait sa
phy sionomie des ép o ques primitiv es, avant de s’ané antir , et l’ obscurité
der nièr e s’ép aississait autour de nous.
Alor s Y v es me dit, av e c l’intonation d’une fray eur d’ enfant : « Frèr e ,
r eg ardez-moi, est-ce qu’il ne v ous semble p as que je suis de v enu plus
grand que de coutume ? . . . » — Et je rép ondis :