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P I ERRE LO T I
F IGU RES ET CHOSES
QU I P ASSAI EN T
BI BEBO O KP I ERRE LO T I
F IGU RES ET CHOSES
QU I P ASSAI EN T
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1090-7
BI BEBO OK
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sous la licence Cr e ativ es Commons BY -SA
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QU I P ASSAI EN T
1CHAP I T RE I
P ASSA GE D’EN F AN T
5 dé cembr e 1894.
vais é crir e est p our ceux qui, dans les cimetièr es,
contemplant quelque fosse à p eine fer mé e que les pr emier s b ouquetsC blancs r e couv r ent encor e , se sont sentis tenaillés jusqu’au fond
et dé chirés, au souv enir de p etits y eux candides, éteints là sous la ter r e
affr euse . . .
Oh ! l’énigme dér outante et sombr e , que la mort des p etits enfants !. . .
Pour quoi ceux-là , au lieu de nous, qui av ons fini et qui, si v olontier s,
accepterions de p artir ? . . . Ou plutôt, p our quoi étaient-ils v enus, alor s,
puisqu’ils de vaient s’ en r etour ner si vite après av oir subi l’inique
châtiment d’une ag onie ? . . . D e vant leur s tomb es blanches, notr e raison et
notr e cœur se débaent, en détr esse ré v olté e , au milieu de ténèbr es. . .
††
2Figur es et choses qui p assaient Chapitr e I
Le p etit êtr e délicieux, dont je v oudrais pr olong er un p eu la mémoir e
en p arlant de lui, était le fils unique de Sylv estr e , — un domestique à nous
qui est de v enu, après dix anné es, pr esque quelqu’un de la famille .
Il n’avait v u que deux fois les étés de la ter r e . Ses che v eux de soie
jaune , comme on en met aux p oup é es, se p artag e aient en drôles de p
etites mè ches, r eb elles aux coiffur es. Son teint était comme celui des r oses
de Beng ale , ses traits comme ceux des ang es ; il avait une p etite b ouche
toujour s ouv erte , au-dessus d’un menton un p eu r entrant qui lui donnait
une naïv eté adorable . D’ailleur s, le plus jo y eux des inno cents bébés, tout
au b onheur nouv e au d’ e xister , de r espir er , de se mouv oir ; plein de vie et
de santé fraîche ; p otelé , musclé comme les Amour s p aïens.
Mais son char me surtout était dans ses y eux, de grands y eux bleus
assez enfoncés sous l’ar cade du fr ont, des y eux de candeur , de confiance
et aussi de continuel étonnement de vant toutes les choses de ce monde . . .
††
A Paris, ce matin gris de dé cembr e , dans une chambr e d’hôtel
quelconque , sans nouv elles depuis quatr e jour s, ar rivant d’un v o yag e du Nord,
j’ ouv r e au hasard une de mes ler es prises à la p oste r estante . — Et elle
commence ainsi : « Hier au soir , à huit heur es, cet amour de p etit Rog er
mourait dans d’affr euses souffrances. Nous le pleur ons tous, et Sylv estr e
fait une pitié pr ofonde . . . »
. . . D’ab ord, je tour ne sur place et je mar che , vite , comme sous la
p oussé e et l’ e x asp ération d’une douleur phy sique . . . Ensuite , je r epr ends
la ler e , p our continuer de sav oir : c’ est le cr oup , qui l’a emp orté en
quelques heur es, au milieu de l’affolement de ceux qui le soignaient. . .
Je mar che encor e , détaillant sans sav oir p our quoi les objets, les
laideur s de cee chambr e , r ep oussant du pie d des choses qui m’ entrav ent
p our p asser , — le temps de bien compr endr e l’ine x orable ré alité de c e que
je viens de lir e , et puis, tout à coup , un nuag e , je n’y v ois plus — et je
pleur e . . .
L’idé e ne m’était jamais v enue que ce p etit Rog er p ouvait mourir . . . Et
puis, non, je ne cr o yais p as qu’il avait pris tant de place en moi, ce p etit-là ,
je ne p ouvais p as cr oir e que je l’aimais tant !. . . Est-ce qu’ on sait d’ailleur s
p our quoi on aime tel p etit êtr e qui ne v ous est rien, plutôt que tel autr e
qui v ous touche de plus près : c’ est quelque chose qui va des y eux dans
3Figur es et choses qui p assaient Chapitr e I
les y eux, qui vient de la toute p etite âme candide et neuv e , p our p énétr er
doucement jusqu’au fond de la vôtr e , lassé e et mor ne . . .
††
D ans ce même cour rier , une dépê che , qui aendait aussi depuis deux
jour s à la p oste r estante : « Je suis dans la p eine . Notr e p etit Rog er mort.
— SY LV EST RE. »
Maintenant je r eg arde les dates. T out cela est déjà d’avant-hier ! D onc,
on l’ emp ortera au cimetièr e ce soir , et il est tr op tard, je n’ai aucune p
ossibilité d’ar riv er , aucun mo y en humain de r e v oir la chèr e p etite figur e ,
même rigide et pâlie . . .
††
Rog er Couë c, c’était le titr e qu’il se donnait à lui-même quand on lui
demandait : « Comment t’app elles-tu ? » ( Couë c, une abré viation à lui
du nom de son pèr e , qui est un nom de Br etagne aux r udes consonances
de granit.) and il pr ononçait ce Couë c, il était comique si g entiment,
qu’ on le lui faisait toujour s r e dir e — et, de r etr ouv er aujourd’hui ce p etit
mot enfantin, de le ré entendr e en souv enir , me fait mal affr eusement.
††
Ici, à Paris, où je de vais m’ar rêter , j’avais mille choses à fair e , tant de
r endez-v ous ar rang és ; des amis comptaient sur moi p our des dîner s, des
g ens m’aendaient p our régler des questions imp ortantes. . . Rien de tout
cela n’ e xiste plus ; sans seulement m’inquiéter de les av ertir , je v eux au
plus vite m’ en aller , r entr er chez moi, dans ma maison — où p ourtant va
manquer p our toujour s cee p etite fleur qui était Rog er Couë c.
Mais je n’ai de train p ossible p our m’ emmener que ce soir et, p endant
tout un long jour désolé , il va falloir aendr e dans cee chambr e , ou bien
er r er dans les r ues ; au milieu d’ambiances indiffér entes ou hostiles, êtr e
sombr e et seul, en ré v olte outré e et sans esp oir contr e la cr uauté stupide
de la mort, qui fer me de tels p etits y eux, qui fauche de tels p etits ang es
p our les coucher dans son char nier . . .
††
« Je suis dans la p eine . Notr e p etit Rog er mort. » T andis que les heur es
suiv ent leur mar che lente , je fais comme une r e v ue de cee e xistence de
deux étés — chaque instant qui vient, après la stup eur pr emièr e , martelant
en moi plus pr ofondément la notion que c’ est à tout jamais fini. . .
4Figur es et choses qui p assaient Chapitr e I
Oh ! sa p etite v oix dans la cour de notr e maison, quand je p assais
de vant le logis de ses p ar ents et qu’il v oulait me suiv r e : « Messieu !
messieu ! » ( Pour lui, monsieur était mon nom.) Et ensuite son p etit tr
oinement jo y eux der rièr e moi, p our me r ejoindr e . . . Fini et glacé , tout cela !. . .
En souv enir , il me ré app araît surtout av e c une certaine r ob e de
molleton r ose , qui fut son costume de tous les jour s p endant cee fin de saison,
et une cravate « La V allièr e » blanche , br o dé e à chaque b out d’une fleur
chinoise , qu’il p ortait g énéralement sens de vant der rièr e , la r osee dans
le dos, sous les p etites mè ches de ses che v eux jaunes. . . Mon Dieu, v oici
que cela me dé chir e le cœur à me fair e pleur er encor e , de p enser à cee
p etite cravate tour né e à r eb our s, r etombant sur le dos de cee r ob e r ose . . .
††
Il était très vif, ce p etit Rog er , et cep endant