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V ICT OR H UGO
CLA U DE GU EUX
BI BEBO O KV ICT OR H UGO
CLA U DE GU EUX
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1069-3
BI BEBO OK
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Le te xte suivant est une œuv r e du domaine public é dité
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encourag é à le fair e .
V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.NO T E DE LA P REMI ÈRE
ÉDI T ION
, dont l’ original est dép osé aux bur e aux de
la Revue de Paris ¹ , fait tr op d’honneur à son auteur p our queL nous ne la r epr o duisions p as ici. Elle est désor mais lié e à toutes
les réimpr essions de Claude Gueux.
« Dunk er que , le 30 juillet 1834.
« Monsieur le dir e cteur de la Revue de Paris,
« Claude Gueux , de Victor Hug o , p ar v ous inséré dans v otr e
liv raison du 6 courant, est une grande le çon ; aidez-moi, je
v ous prie , à la fair e pr ofiter .
« Rendez-moi, je v ous prie , le ser vice d’ en fair e tir er à mes
frais autant d’ e x emplair es qu’il y a de députés en France , et
de les leur adr esser individuellement et bien e x actement.
« J’ai l’honneur de v ous saluer .
« CHARLES CARLI ER,
« Nég o ciant. »
1. Claude Gueux a p ar u d’ab ord dans la Revue de Paris .
1Claude Gueux Chapitr e
n
2CLA U DE GU EUX
sept ou huit ans, un homme nommé Claude Gueux, p auv r e
ouv rier , vivait à Paris. Il avait av e c lui une fille qui était sa maî-I tr esse , et un enfant de cee fille . Je dis les choses comme elles
sont, laissant le le cteur ramasser les moralités à mesur e que les faits les
sèment sur leur chemin. L’ ouv rier était cap able , habile , intellig ent, fort
maltraité p ar l’é ducation, fort bien traité p ar la natur e , ne sachant p as
lir e et sachant p enser . Un hiv er , l’ ouv rag e manqua. Pas de feu ni de p ain
dans le g aletas. L’homme , la fille et l’ enfant eur ent fr oid et faim. L’homme
v ola. Je ne sais ce qu’il v ola, je ne sais où il v ola. Ce que je sais, c’ est que
de ce v ol il résulta tr ois jour s de p ain et de feu p our la femme et p our
l’ enfant, et cinq ans de prison p our l’homme .
L’homme fut env o yé fair e son temps à la maison centrale de
Clairvaux. Clair vaux, abbay e dont on a fait une bastille , cellule dont on a fait
un cabanon, autel dont on a fait un pilori. and nous p arlons de pr
ogrès, c’ est ainsi que certaines g ens le compr ennent et l’ e x é cutent. V oilà la
chose qu’ils meent sous notr e mot.
Pour suiv ons.
Ar rivé là , on le mit dans un cachot p our la nuit, et dans un atelier p our
le jour . Ce n’ est p as l’atelier que je blâme .
3Claude Gueux Chapitr e
Claude Gueux, honnête ouv rier naguèr e , v oleur désor mais, était une
figur e digne et grav e . Il avait le fr ont haut, déjà ridé quoique jeune
encor e , quelques che v eux gris p erdus dans les touffes noir es, l’ œil doux et
fort puissamment enfoncé sous une ar cade sour cilièr e bien mo delé e , les
narines ouv ertes, le menton avancé , la lè v r e dé daigneuse . C’était une b elle
tête . On va v oir ce que la so ciété en a fait.
Il avait la p ar ole rar e , le g este p eu fré quent, quelque chose d’imp érieux
dans toute sa p er sonne et qui se faisait obéir , l’air p ensif, sérieux plutôt
que souffrant. Il avait p ourtant bien souffert.
D ans le dépôt où Claude Gueux était enfer mé , il y avait un dir e cteur
des atelier s, espè ce de fonctionnair e pr opr e aux prisons, qui tient tout
ensemble du guichetier et du mar chand, qui fait en même temps une
commande à l’ ouv rier et une menace au prisonnier , qui v ous met l’ outil aux
mains et les fer s aux pie ds. Celui-là était lui-même une variété de l’ espè ce ,
un homme br ef, ty rannique , obéissant à ses idé es, toujour s à courte bride
sur son autorité ; d’ailleur s, dans l’ o ccasion, b on comp agnon, b on prince ,
jo vial même et raillant av e c grâce ; dur plutôt que fer me ; ne raisonnant
av e c p er sonne , p as même av e c lui ; b on pèr e , b on mari sans doute , ce qui
est de v oir et non v ertu ; en un mot, p as mé chant, mauvais. C’était un de
ces hommes qui n’ ont rien de vibrant ni d’élastique , qui sont comp osés
de molé cules inertes, qui ne résonnent au cho c d’aucune idé e , au contact
d’aucun sentiment, qui ont des colèr es glacé es, des haines mor nes, des
emp ortements sans émotion, qui pr ennent feu sans s’é chauffer , dont la
cap acité de calorique est nulle , et qu’ on dirait souv ent faits de b ois ; ils
flamb ent p ar un b out et sont fr oids p ar l’autr e . La ligne princip ale , la ligne
diag onale du caractèr e de cet homme , c’était la ténacité . Il était fier d’êtr e
tenace , et se comp arait à Nap olé on. Ce ci n’ est qu’une illusion d’ optique . Il
y a nombr e de g ens qui en sont dup es et qui, à certaine distance , pr ennent
la ténacité p our de la v olonté , et une chandelle p our une étoile . and cet
homme donc avait une fois ajusté ce qu’il app elait sa volonté à une chose
absurde , il allait tête haute et à trav er s toute br oussaille jusqu’au b out de
la chose absurde . L’ entêtement sans l’intellig ence , c’ est la soise soudé e
au b out de la bêtise et lui ser vant de rallong e . Cela va loin. En g énéral,
quand une catastr ophe privé e ou publique s’ est é cr oulé e sur nous, si nous
e x aminons, d’après les dé combr es qui en gisent à ter r e , de quelle façon
4Claude Gueux Chapitr e
elle s’ est é chafaudé e , nous tr ouv ons pr esque toujour s qu’ elle a été av
euglément constr uite p ar un homme mé dio cr e et obstiné qui avait foi en
lui et qui s’admirait. Il y a p ar le monde b e aucoup de ces p etites fatalités
têtues qui se cr oient des pr o vidences.
V oilà donc ce que c’était que le dir e cteur des atelier s de la prison
centrale de Clair vaux. V oilà de quoi était fait le briquet av e c le quel la so ciété
frapp ait chaque jour sur les prisonnier s p our en tir er des étincelles.
L’étincelle que de p ar eils briquets ar rachent à de p ar eils cailloux
allume souv ent des incendies.
Nous av ons dit qu’une fois ar rivé à Clair vaux, Claude Gueux fut
numér oté dans un atelier et rivé à une b esogne . Le dir e cteur de l’atelier fit
connaissance av e c lui, le r e connut b on ouv rier , et le traita bien. Il p araît
même qu’un jour , étant de b onne humeur , et v o yant Claude Gueux fort
triste , car cet homme p ensait toujour s à celle qu’il app elait sa femme , il lui
conta, p ar manièr e de jo vialité et de p asse-temps, et aussi p our le consoler ,
que cee malheur euse s’était faite fille publique . Claude demanda fr
oidement ce qu’était de v enu l’ enfant. On ne savait.
A u b out de quelques mois, Claude s’acclimata à l’air de la prison et
p ar ut ne plus song er à rien. Une certaine sérénité sé vèr e , pr opr e à son
caractèr e , avait r epris le dessus.
A u b out du même esp ace de temps à p eu près, Claude avait acquis
un ascendant singulier sur tous ses comp agnons. Comme p ar une sorte
de conv ention tacite , et sans que p er sonne sût p our quoi, p as même lui,
tous ces hommes le consultaient, l’é coutaient, l’admiraient et l’imitaient,
ce qui est le der nier degré ascendant de l’admiration. Ce n’était p as une
mé dio cr e gloir e d’êtr e obéi p ar toutes c