Guy de Maupassant
Un Parricide
Boule de suif, P. Ollendorff, 1907 (pp. 93-101).
Un Parricide
L’avocat avait plaidé la folie. Comment expliquer autrement ce crime étrange ?
On avait retrouvé un matin, dans les roseaux, près de Chatou, deux cadavres
enlacés, la femme et l’homme, deux mondains connus, riches, plus tout jeunes, et
mariés seulement de l’année précédente, la femme n’étant veuve que depuis trois
ans.
On ne leur connaissait point d’ennemis, ils n’avaient pas été volés. Il semblait qu’on
les eût jetés de la berge dans la rivière, après les avoir frappés, l’un après l’autre,
avec une longue pointe de fer.
L’enquête ne faisait rien découvrir. Les mariniers interrogés ne savaient rien ; on
allait abandonner l’affaire, quand un jeune menuisier d’un village voisin nommé
Georges Louis, dit Le Bourgeois, vint se constituer prisonnier.
À toutes les interrogations, il ne répondait que ceci :
— Je connaissais l’homme depuis deux ans, la femme depuis six mois. Ils venaient
souvent me faire réparer des meubles anciens, parce que je suis habile dans le
métier.
Et quand on lui demandait :
— Pourquoi les avez-vous tués ?
Il répondait obstinément :
— Je les ai tués parce que j’ai voulu les tuer.
On n’en put tirer autre chose.
Cet homme était un enfant naturel sans doute, mis autrefois en nourrice dans le
pays, puis abandonné. Il n’avait pas d’autre nom que Georges Louis, mais comme,
en grandissant, il devint singulièrement intelligent, avec des goûts et des
délicatesses natives ...
Voir