Miss Harriet
Guy de Maupassant
Miss Harriet
Le Gaulois, 9 juillet 1883
À Madame…
Nous étions sept dans le break, quatre femmes et trois hommes, dont un sur le
siège à côté du cocher, et nous montions, au pas des chevaux, la grande côte où
serpentait la route.
Partis d’Étretat dès l’aurore, pour aller visiter les ruines de Tancarville, nous
somnolions encore, engourdis dans l’air frais du matin. Les femmes surtout, peu
accoutumées à ces réveils de chasseurs, laissaient à tout moment retomber leurs
paupières, penchaient la tête ou bien bâillaient, insensibles à l’émotion du jour
levant.
C’était l’automne. Des deux côtés du chemin les champs dénudés s’étendaient,
jaunis par le pied court des avoines et des blés fauchés qui couvraient le sol
comme une barbe mal rasée. La terre embrumée semblait fumer. Des alouettes
chantaient en l’air, d’autres oiseaux pépiaient dans les buissons.
Le soleil enfin se leva devant nous, tout rouge au bord de l’horizon ; et, à mesure
qu’il montait, plus clair de minute en minute, la campagne paraissait s’éveiller,
sourire, se secouer et ôter, comme une fille qui sort du lit, sa chemise de vapeurs
blanches.
Le comte d’Étraille, assis sur le siège, cria : « Tenez, un lièvre », et il étendait le
bras vers la gauche, indiquant une pièce de trèfle. L’animal filait, presque caché par
ce champ, montrant seulement ses grandes oreilles ; puis il détala à travers un
labouré, s’arrêta, repartit d’une course folle, changea de direction, s’arrêta de
nouveau, ...
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