Anatole FranceL’Étui de nacreCalmann-Lévy, 1899 (pp. 179-242).[Toutes les circonstances de ces Mémoires sont véritables, et empruntées à diversécrits du XVIIIe siècle. Il ne s’y trouve pas un détail, si petit qu’il soit, qu’on nerapporte d’après un témoignage authentique.]IÀ Paul Arène.Je suis né en 1770 dans le faubourg rustique d’une petite ville du pays de Langresoù mon père, à demi citadin, à demi paysan, vendait des couteaux et soignait sonverger. Là, des religieuses, qui n’élevaient que des filles, m’apprirent à lire parceque j’étais petit et qu’elles étaient bonnes amies de ma mère. Au sortir de leursmains, je reçus des leçons de latin d’un prêtre de la ville, fils d’un cordonnier etexcellent humaniste. L’été nous travaillions sous de vieux châtaigniers, et c’est prèsde ses ruches que l’abbé Lamadou m’expliquait les Géorgiques de Virgile. Jen’imaginais pas de bonheur plus grand que le mien et je vivais content entre monmaître et mademoiselle Rose, la fille du maréchal. Mais il n’est point au monde defélicité durable. Un matin, ma mère en m’embrassant coula un écu de six livresdans la poche de ma veste. Mes paquets étaient faits. Mon père sauta à cheval et,m’ayant pris en croupe, me mena au collège de Langres. Je songeai, tout le long duchemin, à ma petite chambre que parfumait, vers l’automne, l’odeur des fruitsconservés dans le grenier, à l’enclos où, le dimanche, mon père me menait cueillirles pommes des arbres greffés de sa main ; à Rose, ...
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