La Petite Roque
Guy de Maupassant
Madame Parisse
Gil Blas, 16 mars 1886
Sommaire
1 I
2 II
3 III
4 IV
I
J'étais assis sur le môle du petit port d'Obernon près du hameau de la Salis, pour
regarder Antibes au soleil couchant. Je n'avais jamais rien vu d'aussi surprenant et
d'aussi beau.
La petite ville, enfermée en ses lourdes murailles de guerre construites par M. de
Vauban, s'avançait en pleine mer, au milieu de l'immense golfe de Nice. La haute
vague du large venait se briser à son pied, l'entourant d'une fleur d'écume ; et on
voyait, au-dessus des remparts, les maisons grimper les unes sur les autres
jusqu'aux deux tours dressées dans le ciel comme les deux cornes d'un casque
antique. Et ces deux tours se dessinaient sur la blancheur laiteuse des Alpes, sur
l'énorme et lointaine muraille de neige qui barrait tout l'horizon.
Entre l'écume blanche au pied des murs, et la neige blanche au bord du ciel, la
petite cité éclatante et debout sur le fond bleuâtre des premières montagnes offrait
aux rayons du soleil couchant une pyramide de maisons aux toits roux, dont les
façades aussi étaient blanches, et si différentes cependant qu'elles semblaient de
toutes les nuances.
Et le ciel, au-dessus des Alpes, était lui-même d'un bleu presque blanc, comme si
la neige eût déteint sur lui ; quelques nuages d'argent flottaient tout près des
sommets pales ; et de l'autre côté du golfe, Nice couchée au bord de l'eau
s'étendait comme un fil blanc entre la mer et la montagne. Deux grandes ...
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