Anatole FranceL’Étui de nacreCalmann-Lévy, 1899 (pp. 123-142).À madame la comtesse de Martel Janville.Il y avait concert et comédie chez madame N…, boulevard Malesherbes.Tandis qu’autour d’un parterre d’épaules nues les jeunes gens s’étouffaient auxembrasures des portes, dans les parfums chauds, nous autres, vieux habitués unpeu grognons, nous nous tenions au frais dans un petit salon d’où l’on ne pouvaitrien voir, et où la voix de mademoiselle Réjane ne nous parvenait que comme lebruit légèrement strident du vol d’une libellule. De temps à autre, nous entendionsles rires et les applaudissements éclater dans la fournaise, et nous étions enclins àprendre en douce pitié un plaisir que nous ne partagions pas. Nous échangionsd’assez jolis riens, quand l’un de nous, un député aimable, M. B…, nous dit :— Vous savez : Wood est ici.A cette nouvelle, chacun se récria :— Wood ? Leslie Wood ? pas possible ! Il y a dix ans qu’on ne l’a vu à Paris. On nesait ce qu’il est devenu.— On dit qu’il a fondé une république noire au bord du Victoria-Nyanza.— C’est un conte l Vous savez qu’il est prodigieusement riche et que c’est un grandréalisateur d’impossibilités. Il habite, à Ceylan, un palais féerique, au milieu dejardins enchantés où, nuit et jour, dansent des bayadères.— Comment pouvez-vous croire des bêtises pareilles ? La vérité est que LeslieWood est allé, avec une Bible et une carabine, évangéliser les Zoulous.M. B… reprit à voix basse :— Il est ici ; ...
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