La veuve muette Je suis là, debout, droite, même raide, sans bouger, le regard le plus fixe possible, la tête légèrement baissée. J’essaie de contrôler ma respiration, de ne rien montrer, de ne rien laisser paraitre. Je n’en ai pas le droit. Ils sont tous là : la famille, les amis, les collègues, des gens que je connais, d’autres que je n’ai jamais vus, des anciens de l’université, des contacts professionnels que je ne croisais pas, et au milieu de tous, moi : l’amie-collègue, celle qui a toujours été là, derrière, dans l’ombre, les jours où tout allait bien et les autres, les jours gris voire noirs, les mauvais, toujours là.... Je ne me plains pas, je suis là parce que je le veux bien, et parce que lui aussi, il était là, toujours, dans les bons jours et dans les moins bons, toujours là…. Le temps est de circonstance, il pleut. C’est mieux. Le bruit de la pluie masque les sanglots, même discrets. Elle tombe sur les visages, se mêlant aux larmes. Les femmes de la famille sont fières, fermées, elles pleurent sans bruit. Sa mère, ses sœurs, sa femme, ses deux filles. Les hommes, pour une fois en retrait, les soutiennent discrètement. Ils ne pleurent pas, mais leur visage est sombre, muet. Marie-Christine L’Heureux, lettre d’adieu et autres nouvelles, la veuve muette La cérémonie est sobre. Peu de discours, peu de bruit, pas de musique, à l’image de celui que nous sommes tous venus saluer une dernière fois.
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