Contes divers (1886)Guy de MaupassantLa question du latinLe Gaulois, 2 septembre 1886Cette question du latin, dont on nous abrutit depuis quelque temps, me rappelle unehistoire, une histoire de ma jeunesse.Je finissais mes études chez un marchand de soupe, d'une Brande ville du Centre,à l'institution Robineau, célèbre dans toute la province par la force des étudeslatines qu'on y faisait.Depuis dix ans, l'institution Robineau battait, à tous les concours, le lycée impérialde la ville et tous les collèges des sous-préfectures, et ses succès constants étaientdus, disait-on, à un pion, un simple pion, M. Piquedent, ou plutôt le père Piquedent.C'était un de ces demi-vieux tout gris, dont il est impossible de connaître l'âge etdont on devine l'histoire à première vue. Entré comme pion à vingt ans dans uneinstitution quelconque, afin de pouvoir pousser ses études jusqu'à la licence èslettres d'abord, et jusqu'au doctorat ensuite, il s'était trouvé engrené de telle sortedans cette vie sinistre qu'il était resté pion toute sa vie. Mais son amour pour le latinne l'avait pas quitté et le harcelait à la façon d'une passion malsaine. Il continuait àlire les poètes, les prosateurs, les historiens, à les interpréter, à les pénétrer, à lescommenter, avec une persévérance qui touchait à la manie.Un jour, l'idée lui vint de forcer tous les élèves de son étude à ne lui répondre qu'enlatin ; et il persista dans cette résolution, jusqu'au moment où ils furent capables ...
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