Historiettes, Contes et FabliauxDonatien Alphonse François de SadeLa Prude, ou la Rencontre imprévueM. de Sernenval, âgé d'environ quarante ans, possédant douze ou quinze millelivres de rente qu'il mangeait tranquillement à Paris, ne se mêlant plus ducommerce dont il avait autrefois suivi la carrière, et se contentant pour toutedistinction du titre honorable de bourgeois de Paris visant à l'échevinage, venaitd'épouser depuis peu d'années la fille d'un de ses anciens confrères, âgée pourlors d'environ vingt-quatre ans. Rien de si frais, de si potelé, de si charnu, de siblanc que Mme de Sernenval : elle n'était pas faite comme les Grâces, mais elleétait appétissante comme la mère des amours, elle n'avait pas le port d'une reine,mais elle avait tant de volupté dans l'ensemble, des yeux si tendres et si pleins delangueurs, une bouche si jolie, une gorge si ferme, si arrondie, et tout le reste si faitpour faire naître le désir, qu'il était bien peu de belles femmes à Paris [auxquelles]on ne l'eût préférée. Mais Mme de Sernenval, avec tant d'attraits dans le physique,avait un défaut capital dans l'esprit... une pruderie insoutenable, une dévotionexcédante, et une sorte de pudeur si ridiculement excessive qu'il était impossible àson mari de pouvoir la décider à paraître dans ses sociétés. Poussant le bigotismeà l'extrême, il était très rare que Mme de Sernenval voulût passer une nuit entièreavec son mari, et dans les moments mêmes qu'elle daignait lui ...
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