Anatole FranceLa CravateCrainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitablesÀ Madame Félix DecoriM. Bergeret enfonçait des clous dans les murs de son nouvel appartement. S’apercevant qu’il y prenait plaisir, il se mit à chercher lesraisons pour lesquelles il lui était plaisant d’enfoncer des clous dans un mur. Il trouva les raisons et perdit le plaisir. Car le plaisir avaitété d’enfoncer des clous sans chercher les raisons des choses. Et, tout en méditant sur les disgrâces de l’esprit philosophique, ilaccrocha dans le salon, à la place qui lui parut la plus honorable, le portrait de son père. « Il est trop penché, dit Zoé.— Tu crois ?— J’en suis sûre. Il a l’air de tomber. »M. Bergeret raccourcit les cordons par lesquels le portrait était suspendu.« Il n’est pas droit, dit Mlle Bergeret.— Tu crois ?— C’est bien visible. Il penche à gauche. »M. Bergeret prit soin de le redresser.« Et maintenant ?— Il penche un peu à droite. »M. Bergeret fit ce qu’il put pour que la base du cadre fût enfin parallèle à la ligne de l’horizon, puis il recula de trois pas pour juger deson travail.« Il me semble, dit-il, qu’il est bien.— Il est bien, à présent, dit Zoé. Quand un tableau n’est pas droit, j’en éprouve une impression désagréable.— Cela ne t’est pas particulier, Zoé. Beaucoup de personnes en ressentent une sorte de malaise. Les irrégularités choquent dansdes figures simples, parce qu’alors on saisit vivement la différence de ce qui est et de ...
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