Louis PergaudLes RustiquesL’Évasion de KinkinMaintenant qu’il avait dépassé la zone et franchi les lignes de rebat, Kinkin marchaitplus librement, respirant à longs traits, révâssait même un peu.Tout à l’heure, en remontant la Réverotte pour passer au gué du Moulin Neuf,n’avait-il point remarqué une superbe truite qui se calait sous un rocher de la rive.Son coup d’œil l’avait soupesée : deux ou trois livres au moins, fameux morceauqu’il pourrait vendre facilement chez l’un ou l’autre de ses clients, fines gueules etgros bonnets du chef-lieu de canton. La question se posait seulement de savoir s’illa prendrait au filet ou à la main.Car Kinkin savait conduire de front plusieurs affaires et les menait jusqu’au boutpresque toujours avec succès.Et s’il n’avait point fait fortune à exercer certains métiers plutôt décriés :contrebande, maraude et braconnages divers, il avait assez de philosophie innéeou acquise pour n’en point accuser le destin, sachant fort bien qu’outre les femmescontre qui il était sans défense, il avait encore, entre le nez et le menton, un sacrépertuis qui lui coûtait fort cher pour ce qu’il réclamait, étant toujours à sec, defréquents et copieux arrosages.La veille de ce jour, il était parti de la côte de Longeverne pour aller quérir auxBrenets, petit village de la frontière suisse, une charge de tabac.Il avait repassé le Doubs à la minuit, au lac de Chaillon, puis il avait remonté lescrêts par un des milles sentiers que ...
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