Anatole FranceL’Étui de nacreCalmann-Lévy, 1899 (pp. 145-157).À Charles Maurras.Gestas, dixt li Signor, entrez en paradis."Gestas, dans nos anciens mystères, c’est le nom du larron crucifié à la droite deJésus-Christ."(Augustin Thierry, La Rédemption de Larmor.)On conte qu’il est en ce temps-ci un mauvais garçon nommé Gestas, qui fait lesplus douces chansons du monde. Il était écrit sur sa face camuse qu’il serait unpécheur charnel et, vers le soir, les mauvaises joies luisent dans ses yeux verts. Iln’est plus jeune. Les bosses de son crâne ont pris l’éclat du cuivre ; sur sa nuquependent de longs cheveux verdis. Pourtant il est ingénu et il a gardé la foi naïve deson enfance. Quand il n’est point à l’hôpital, il loge en quelque chambrette d’hôtelentre le Panthéon et le jardin des Plantes. Là, dans le vieux quartier pauvre, toutesles pierres le connaissent, les ruelles sombres lui sont indulgentes, et l’une de cesruelles est selon son cœur, car, bordée de mastroquets et de bouges, elle porte, àl’angle d’une maison, une sainte Vierge grillée dans sa niche bleue. Il va le soir decafé en café et fait ses stations de bière et d’alcool dans un ordre constant : lesgrands travaux de la débauche veulent de la méthode et de la régularité. La nuits’avance quand il a regagné son taudis sans savoir comment, et retrouvé, par unmiracle quotidien, le lit de sangles où il tombe tout habillé. Il y dort à poings fermés,du sommeil des vagabonds et des enfants. Mais ...
Voir