Émilie de Tourville
ou
la Cruauté fraternelle
Rien n'est sacré dans une famille comme l'honneur de ses membres, mais si ce trésor vient à se ternir, tout précieux qu'il puisse être,
ceux qui sont intéressés à le défendre le doivent-ils au prix de se charger eux-mêmes du rôle humiliant de persécuteur des
malheureuses créatures qui les offensent ? Ne serait-il pas raisonnable de mettre en compensation les horreurs dont ils tourmentent
leur victime, et cette lésion souvent chimérique qu'ils se plaignent d'avoir reçue ? Quel est enfin le plus coupable aux yeux de la
raison, ou d'une fille faible et trompée, ou d'un parent quelconque qui pour s'ériger en vengeur d'une famille, devient le bourreau de
cette infortunée ? L'événement que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs fera peut-être décider la question.
Le comte de Luxeuil, lieutenant général, homme d'environ cinquante-six à cinquante-sept ans, revenait en poste d'une de ses terres
de Picardie, lorsqu'en passant dans la forêt de Compiègne, à environ six heures du soir vers la fin de novembre, il entendit des cris
de femme qui lui parurent venir du coin d'une des routes, voisine du grand chemin qu'il traversait ; il arrête, et ordonne à son valet de
chambre qui courait à côté de la chaise d'aller voir ce que c'est. On lui rapporte que c'est une jeune fille de seize à dix-sept ans,
noyée dans son sang, sans qu'il soit possible pourtant de distinguer où sont ses blessures et qui demande à être secourue ; le ...
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