Les RustiquesLouis PergaudDeux veinardsCe n’était point sans raisons, ni même pour de mauvais prétextes que les gaminsde Longeverne tenaient en suspicion les deux Grangers, ainsi surnommés parcequ’ils habitaient, à quelque cinq cents mètres du village, une belle et vaste maisonde ferme, fort bien installée et que l’on appelait, selon la coutume du pays comtois,la Grange.Les deux Grangers ne portaient point de blouses comme les autres gosses ; ilsétaient, en toute saison, chaussés, non de brodequins à gros clous, mais desouliers à bouts pointus, ce qui faisait dire à Camus qu’ils mettaient tous les joursleurs « croquenots » du dimanche ; ils avaient des casquettes à visière de cuir et àgalon d’or, comme les collégiens ou les « séminards », et suivaient la mode enarborant des pantalons courts avec, en été, des chaussettes laissant à nu leursmollets, ce qui ne se faisait pas à la campagne.Mais ce n’était point précisément pour cela qu’on les avait à l’œil : pas plus auvillage qu’en ville, s’il y contribue comme de juste, l’habit ne fait le moine.Ce qui les rendait « indésirables », si l’on peut dire, aux regards de leurscondisciples, c’étaient les prévenances particulières dont les entouraient à l’école,le maître, et, à l’église, le curé.Leur père, le Granger, gros cultivateur, mi-paysan, moitié monsieur ayant, commeon dit, du foin dans ses bottes, était bien avec toutes les grosses légumes ducanton et recevait assez fréquemment les deux personnages ...
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