Louis PergaudLes RustiquesDeux Électeurs sérieuxTous les quatre ans, au moment des élections municipales, Laugu du Moulin etAbel le Rat, journaliers à Longeverne, l’un ancien meunier, l’autre ex-rat de cave, lepremier décavé, le second révoqué pour avoir tous deux trop fêté la dive bouteille,se sentaient prendre du poids.Comme les deux partis politiques (les Rouges et les Blancs) étaient à peu prèsd’égale force au village et que le succès dépendait des voix douteuses de quelquescitoyens, genre Abel et Laugu, ces deux-ci avaient depuis longtemps jugé tout leparti qu’ils pouvaient tirer — ou soutirer — comme on voudra, d’une si admirablesituation.Ils se contentaient donc de ménager la chèvre républicaine et le chou réactionnaireavec une délicatesse, un doigté qu’eût pu leur envier tel politicien de plus grandeenvergure ; député, sénateur, voire sous-secrétaire d’État ou ministre.Par un savant jeu d’avances et de compensations, ils laissaient successivementcroire aux fervents des deux partis qu’ils étaient leurs hommes pourvu toutefois quele confident eût provoqué cet aveu par l’offre de deux ou trois bouteilles de picolode l’année ou de derrière les fagots, selon la gravité de l’heure présente.Ils avaient un chic spécial et une habileté extraordinaire pour s’excuser auprès desRouges d’avoir été vus à l’offerte le dimanche, et auprès des Blancs pour s’êtrelaissé entraîner à fêter le 14 juillet parmi les drapeaux, les lampions, les litres et lesM a r s ...
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