Anton TchekhovSalle 6AngoisseÀ qui confierai-je ma peine ?Le crépuscule. Une grosse neige, fondante, tournoie paresseusement autour desbecs de gaz que l’on vient d’allumer, et se pose, en couche molle et fine, sur lestoits, sur le dos des chevaux, les épaules et les chapeaux. Le cocher Iôna Potâpovest blanc comme un fantôme. Replié sur lui-même autant que peut se replier uncorps humain, il est assis sur son siège et ne fait pas un mouvement. Glissât-il surlui tout un amas de neige, il n’éprouverait pas, semble-t-il, le besoin de le fairetomber… Son méchant petit cheval est immobile et blanc comme lui. Parl’angulosité de ses formes, la raideur en bâtons de ses pattes, par son immobilité, ilressemble, même de près, à un petit cheval en pain d’épice d’un kopek. Il est, selontoute probabilité, plongé dans ses pensées. En effet, avoir été arraché de lacharrue, de ses paysages habituels et gris, et avoir été jeté dans cet abîme plein defeux monstrueux, de fracas incessant, et de gens qui courent, comment ne passonger à tout cela !Il y a déjà longtemps que Iôna et son cheval n’ont pas bougé. Ils sont sortis du dépôtpeu après le dîner, et pas d’« étrenne » encore… Et la buée du soir tombe sur laville. Les innombrables feux des lanternes remplacent la lumière vive. L’agitationbruyante des rues atteint son f o r t e.– Cocher ! quartier de Vyborg ! entend Iôna tout à coup.Iôna tressaute, et, à travers ses cils collés par la neige, il voit un officier en ...
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