René MaizeroyLa FêteÀ l’ombre1893— J'ai été en prison au temps où j'avais encore des chimères, où l'on me trouvaittoujours au premier rang, d'attaque, comme disent les ouvriers, quand il s'agissaitde pérorer en quelque réunion publique, de sonner la diane de revanches auxmiséreux, de montrer le poing aux repus et aux satisfaits, de cogner contre ce vieilédifice social qui malgré ses lézardes nargue les plus farouches assauts etqu'hélas, ni vous, ni moi, nous ne démolirons de sitôt. J'ai connu, comme quelquevieux cheval de retour l'amertume, le spleen des geôles où l'on s'abrutit peu à peu,l'on perd la notion du temps, l'on se cristallise, l'on a cette sensation d'être commeun grenier abandonné, silencieux, où des milliers et des milliers d'araignées tissentleurs toiles, bouchent les issues, masquent d'opaques rideaux poussiéreux leslucarnes par lesquelles filtrait encore un peu de lumière.Puis, secouant cette crinière léonine qui donne à sa figure ravagée de vieux tribunon ne sait quel aspect prophétique, Claude Ramire ajouta avec soudain dans leregard comme la mélancolie d'un mauvais souvenir :— Et rien alors ne me parut plus pénible à endurer, plus cruel que cette privationd'amour à laquelle j'étais condamné en pleine jeunesse, en pleine exubérance deforces et de rêves. On arrivait à en être comme fou, à en sangloter dans ses mainscomme les fauves qui brament leur désir au milieu des ténèbres, à en avoir ledégoût de la vie, une sorte d'ébriété ...
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